J’étais la semaine dernière à Lourdes pour le pèlerinage du Rosaire. Il faisait beau et chaud, le soleil était au rendez-vous comme les 18 000 pèlerins, malades et hospitaliers. Les visages étaient souriants… Rien à voir avec l’ambiance maussade et grave qui régnait lors de mon dernier passage, il y a deux ans, à l’occasion de l’Assemblée plénière des évêques de France qui suivait la remise du rapport de la Ciase.
La semaine dernière, la joie simple qui régnait à Lourdes aurait pu faire oublier que l’Église de France est encore loin de connaître la sortie de la crise des abus, même si une première étape, inédite et fondatrice a été franchie en 2021.
Rien ? Enfin pas tout à fait… Dans le sanctuaire, de l’autre côté du Gave, à quelques mètres de l’hémicycle où se réunissent les évêques, est exposée une photo, celle d’une statue qui représente un visage d’enfant, d’où coule une larme. Cette photo se veut le mémorial pour les victimes d’abus sexuels perpétrés dans l’Église. Elle est là, depuis le 6 novembre 2021, à la vue de tous, sans pour autant être véritablement visible. Ils sont certainement bien rares les pèlerins à savoir ce qu’elle représente.
Tandis qu’à quelques mètres de là, des mosaïques monumentales ornent la façade de la basilique Notre-Dame du Rosaire. Aucun pèlerin qui entre dans le sanctuaire pour se diriger vers la Grotte ne peut échapper à ces représentations des mystères lumineux de la vie du Christ, par le célèbre mosaïste jésuite Marko Rupnik.
Je fais partie de ceux qui souhaitent qu’elles soient déposées. Non pour des motivations artistiques et esthétique mais parce que Marko Rupnik, l’artiste qui les a réalisées, a été excommunié un temps et exclu de la Compagnie de Jésus en raison des abus sexuels et spirituels qu’il a commis. Je ne reviendrai pas sur les détails de ce que l’on nomme « l’affaire Rupnik », dont le traitement est emblématique de la difficulté que l’Église a eue, durant des décennies, à appréhender les crimes sexuels de ses membres. Les victimes, en grande partie des religieuses, sont au moins au nombre de quinze et leurs témoignages sont glaçants, révélant l’imbrication des abus sexuels et spirituels.
Déjà, à la demande de victimes issues de différents pays, le sanctuaire a retiré les mosaïques qui servaient d’images d’illustration pour la retransmission du chapelet, et le Conseil d’orientation du sanctuaire a ouvert, en lien avec la Conférence des Évêques de France, une réflexion sur la présence de ces mosaïques, au cœur d’un lieu de pèlerinage qui a accueilli 2,3 millions de personnes en 2022.
Je n’irai pas jusque-là. Dans une période d’obsession de la transparence, où un simple tweet, doublé d’un hashtag efficace, peut vouer n’importe qu’elle personnalité publique aux gémonies avant que la justice n’ait même eu le temps d’être saisie, il me semble qu’exiger des artistes une morale sans tâche est une illusion qui peut être dangereuse.
D’ailleurs, sur ce sujet, le magistère de l’Église catholique est très clair : l’œuvre doit être fidèle aux récits bibliques et elle seule doit respecter les critères de la moralité.
Loin de moi l’idée de vouloir déposer les œuvres du Caravage sous prétexte que l’homme ait été un meurtrier. Exiger des auteurs d’art sacré qu’ils soient parfaits, c’est oublier que l’homme est marqué par le péché. D’ailleurs, sur ce sujet, le magistère de l’Église catholique est très clair : l’œuvre doit être fidèle aux récits bibliques et elle seule doit respecter les critères de la moralité. L’artiste d’art sacré n’est pas l’iconographe orthodoxe qui, lui, pratique un art qui s’exerce dans la prière et exige une véritable préparation spirituelle.
Je focalise sur certaines œuvres de Rupnik. Celles de la Redemptoris Mater, la chapelle privée du Pape, ou encore des sanctuaires saint Jean-Paul II de Cracovie et Washington, ne m’intéressent pas. Je focalise sur les œuvres de Rupnik qui sont susceptibles d’agresser une nouvelle fois les victimes car exposées dans des lieux particuliers comme la chapelle du patronage du Bon Conseil à Paris, fréquentée par des enfants et les sanctuaires de Fatima et de Lourdes, lieux par excellence de la guérison.
Il me semble que dans ces lieux, il serait symboliquement important de déposer les œuvres du prédateur. Il est difficile de faire abstraction du contexte de la lutte contre les abus que doit poursuivre l’Église. Ces œuvres ne peuvent être réduites à leur dimension purement esthétique, elles ont une visée pédagogique et spirituelle et le fait que leur auteur soit un prêtre leur confère une violence particulière pour les victimes qui y sont confrontées.
Conserver ces œuvres monumentales, créées par un monstre, à quelques mètres du discret et confidentiel mémorial des victimes mêmes de ce montre et de ses compagnons de péchés, ne serait-il pas le signe d’une Église, incapable d’affronter les étapes qui suivent la remise du rapport de la Ciase ?
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