S’est tenue à Paris cette semaine une assemblée générale de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref). Environ 250 femmes et hommes supérieurs d’instituts religieux et de monastères ont étudié les conclusions des groupes de travail mis en place à l’issue du rapport de la Ciase sur les abus et violences sexuelles dans l’Église.
"Ne travaille pas au malheur de ton prochain alors qu’il vit sans méfiance auprès de toi", nous rappelle avec vigueur le Livre des Proverbes (3, 28). Mais depuis ces dernières années, nous avons découvert un continent de ténèbres. Pas en ce monde. Mais en nous. Pas chez les autres mais chez nous, en notre Église, nos communautés. Ténèbres engendrées par les morts intimes infligées au corps, à l’âme, à l’esprit, à l’enfance, à l’espérance, de celles et ceux, petits et grands, qui vivaient sans méfiance dans nos maisons, notre proximité, et partageaient nos liturgies et sacrements. Là où la paix, la croissance, la sûreté d’être aimé en vérité, dans le respect le plus absolu devaient se vivre, c’est la violence sournoise, la peur, le mal qui dévore qui se sont déchaînés. Sans bruit.
Nous voulions alors signifier, par nos actes, que si nous sommes "rongés par l’inquiétude", de la situation du monde, nous le sommes tout autant par celles des victimes d’abus spirituels, de confiance, de pouvoir, de conscience et d’agressions sexuelles. Cette indignation et cette inquiétude-là ne sont pas périphériques. Elles ne sont pas conjoncturelles en attendant, enfin, des jours meilleurs. Elles font désormais partie de nous- même. De notre engagement.
Il ne s’agit pas d’un dossier que nous espérons enfin clore dans quelques mois. C’est de notre chair et cela nous entame. Lors de l’office du Vendredi saint, contemplant les femmes et les hommes de tous âges qui venaient vénérer la Croix, je ne pouvais pas ne pas penser aux corps brisés dont nous connaissons - ou non - les visages marqués tout au creux des yeux. Je pensais à la torture qu’a été la croix pour Jésus. Qu’elle est pour chaque victime de cette infamie que sont la trahison de la générosité, de l’enthousiasme et l’intrusion, la prédation. Nous incliner devant la croix c’est nous incliner devant leur courage, leur attente de reconnaissance, de justice et de clarté. Et humblement, pauvrement, promettre du fond de l’âme que nous avons et que nous allons changer. Le faire non sans notre émotion, nécessaire à la prise de décision car elle nous prend aux entrailles. Comme la honte, la douleur, le désir du vrai.
Notre assemblée a très largement adopté l’ensemble des bonnes pratiques et des préconisations issus des groupes de travail et que nous avons présenté et discuté avec beaucoup de gravité et de liberté, dans une grande fraternité. Reste l’essentiel : les mettre en pratique, nous encourageant les uns les autres. Merci à vous de vos pensées durant ces jours.
Véronique Margron, op.
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