"Une crucifixion est rappelée – uniquement – Combien d’autres pourtant." C’est cette citation de l’immense poétesse américaine Emily Dickinson qui est en exergue de la traduction singulière des Évangiles par Frédéric Boyer. En ce dimanche du Christ roi, laisser résonner cette parole. "Une crucifixion est rappelée – uniquement – Combien d’autres pourtant." Dans celle qui nous est rappelée aujourd’hui sont recueillies "combien d’autres" de notre temps. Jusque dans notre Église. Victimes méprisées, ignorées.
En ces temps, peut-être en tout temps, la confession de Dieu se fait plus grave encore. Dire, croire de toute son âme qu’il est sauveur, que son nom est là pour soutenir le pas fatigué, pour donner confiance à qui faiblit, pour ouvrir des chemins de liberté, d’avenir ; rien de cela n’est facile.
"C’est le roi des Judéens", a accroché quelqu’un au sommet de la potence de Jésus. C’est son identité. Décisive. À un des refrains des évangiles "es-tu celui qui doit venir ?", "d’où es-tu ?", voici la réponse : roi dénudé sur une potence.
Jésus ne revendique aucune identité, il se livre. La royauté à l’envers, la seule vraie en fin de compte, est celle-ci : l’abaissement en haut d’une croix quelconque, sans aucun signe distinctif.
Jésus est exposé, et chacun en fait ce qu’il veut : l’humilier, le flageller, le pendre, le renier, le pleurer, murmurer « celui-ci était vraiment fils de Dieu ». Pas d’affirmation de soi. Jésus ne vient pas devant la foule pour lui clamer haut et fort « je suis votre roi, prosternez-vous, honorez-moi ». Non, Jésus s’offre, comme il l’a toujours fait.
Étrange roi alors que celui dont la hauteur est signifiée par cette incroyable hospitalité au malheureux pendu comme lui. La noblesse de ce Dieu n’est pas dans sa puissance, son savoir, sa réputation, sa lignée ; elle est dans cette capacité unique à s’être fait le proche de quiconque, jusqu’au condamné et à l’humilié. Ce qui est divin ce n’est pas la séparation d’avec l’homme, ce n’est pas la grandeur ni les titres, c’est la ressemblance d’avec nous, c’est d’être en-bas. Même de rapetisser pour nous pour se lover dans l’intime du cœur de l’homme, de son désir comme de sa douleur ou de son chagrin.
"Ce sont les dieux inoccupés qui nous menacent", écrivait magnifiquement Rainer Maria Rilke. Mais le vrai Dieu est tout occupé par l’humain, chacun et tous. Par tout-un-chacun, pour l’aimer comme luimême sans jamais l’utiliser ni le trahir. "Oui pour nous vraiment c’est juste ! les actes que nous avons commis méritent ce que nous recevons. Mais lui n’a rien fait de mal." Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu iras dans ton Royaume !" Et il lui répond "Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis." (Traduction Frédéric Boyer Lc 23, 41-43)
Véronique Margron op
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