Chers amis, je voudrais vous parler ce matin de mes sœurs. Spécialement de celles qui vivent à la maison-mère : il y a quelques jours, toutes sont parties en voyage. De ces voyages vrais, qui ne reviennent pas au même, dont on ne connaît pas l’itinéraire intérieur...
Une partie de la maison-mère a été dédiée à la construction d’un Ehpad, en partenariat avec une fondation que je salue chaleureusement. Une maison ouverte au public modeste. Les premières à arriver sont les sœurs les plus aînées ou dépendantes. Avec elles d’autres qui ont accepté de venir dès maintenant. Par amitié et solidarité avec les sœurs malades, mais aussi par attention en faveur des autres résidents qui arriveront dans ces prochaines semaines, en laissant derrière eux tant de choses. Soins d’humanité, de proximité, de bienveillance, communauté simplement de paix et de partage. Comme le vivent tant de communautés religieuses dans les maisons de retraite en France.
Puis-je vous dire que ces 24 vieilles dames - mes sœurs donc - qui ont entre 85 et plus de 100 ans font mon admiration. Se déplacer à nouveau. Non tant au-dehors, mais bien tout au-dedans d’elles-mêmes. Pour s’ouvrir encore. Nous fêtions il y a quelques jours la fête de tous les saintes et les saints. Et ce 7 octobre ce sera la Toussaint de l’ordre de saint Dominique, auquel j’appartiens.
Alors chacun des visages de ces femmes me rappelle ce qu’écrivait le pape François dans son exhortation de 2019 sur la sainteté : les "saints de la porte d’à côté". Elles sont de ceux-là. Non que leur vie soit parfaite, leur foi inébranlable et leur caractère impeccable. Mais parce que ce sont des femmes, pleinement humaines et soucieuses de l’humanité de l’autre. Présence, dans la faiblesse des corps et parfois des esprits, de consolation pour celle ou celui qui arrivera trop seul, trop loin des siens, trop épuisé par la vie. Au creux des fracas de l’existence – et leurs existences ont eu leur lot de fracas aussi – être simplement là. Pour de vrai. Je suis tout aussi admirative de celles qui vont rester un petit nombre dans notre maison encore bien vaste et vont devoir réinventer une façon d’habiter les unes avec et pour les autres.
Toutes ont beaucoup œuvré et travaillé dans leur vie, jusque bien tard. C’est une chance que beaucoup nous envieraient. En même temps elles pourraient dire stop, maintenant laisse-nous en paix et attends pour toutes tes transformations. Attends que nous ne soyons plus là. Mais non. Elles racontent alors, pour moi, pour d’autres, la "ferveur et l’audace", "l’endurance, la patience et la douceur", dont parle encore le pape François.
"Un nouveau commencement par des commencements qui ne finissent pas", écrivait le moine Guerric d’Igny au XIIIe siècle. Alors oui, toute ma gratitude et mon affection. Et si quelqu’un doutait de la force du cœur qui demeure encore et toujours, il suffirait de se rappeler cette parole - parmi plus belles de la bible- adressée par Dieu au petit Gédéon, au Livre des Juges ( 6, 14) : "Va avec cette force que tu as."
Véronique Margron op.
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