C’est une goutte d’essence qui a fait déborder le vase de la colère populaire en Haïti la semaine dernière. Le 11 septembre en effet, le premier ministre par intérim, Ariel Henry a annoncé que l'État n’avait plus les moyens de subventionner les produits pétroliers dont le prix à la consommation allait donc augmenter. Cette décision a provoqué une série de manifestations violentes, parfois accompagnées de pillages. Une telle réaction n’est hélas pas surprenante.
Depuis plusieurs semaines déjà, des Haïtiens défilent d’abord pour protester contre la hausse des prix des produits de première nécessité, des aliments surtout. Ils exigent aussi que soit mis fin à de l’insécurité alors que ces derniers mois, les gangs criminels, qui étaient déjà puissants dans les grandes villes, ont encore étendu leur emprise, à grand renfort d’assassinats, de tortures mais aussi de kidnappings avec rançon pour remplir leur trésor de guerre.
Enfin, de nombreux Haïtiens demandent la démission du chef du gouvernement par intérim, responsable à leurs yeux de l’incurie des pouvoirs publics dans tous ces domaines. Rappelons qu’Ariel Henry occupe la tête du gouvernement depuis juillet 2021, quelques jours après l’assassinat spectaculaire et non encore élucidé du chef de l'État, Jovenel Moïse, dans sa résidence privée par un commando armé. Le premier ministre a été désigné à son poste actuel à titre provisoire, après avoir reçu l’appui déterminant du Core Group, qui compte notamment des pays comme les États-Unis, le Canada, la France ou l’Espagne. Et il s’est vu fixer pour mission d’organiser des élections, car le mandat des députés est arrivé à échéance il y a longtemps déjà, en janvier 2020. Mais depuis sa nomination, les discussions se sont enlisées dans les interminables palabres de la classe politique haïtienne.
Des organisations de la société civile, associées à certains partis, ont bien proposé la mise en place d’un gouvernement de transition pendant deux ans avant l’organisation d’un scrutin, mais jusqu’à présent, ces pistes n’ont pas été suivies d’effet concret. Et Ariel Henry semble se satisfaire de continuer à exercer le pouvoir, malgré la dégradation de la situation économique et sécuritaire.
Cette dégradation, qui dans le pire des cas pourrait faire boule de neige en République dominicaine voisine, inquiète les puissances étrangères qui ont poussé à la nomination du premier ministre, mais ces mêmes puissances, États-Unis en tête, n’ont visiblement aucune envie d’intervenir directement à Haïti. Avec des raisons légitimes, tant leurs occupations et interventions passées dans le pays y ont laissé des souvenirs contrastés.
La population haïtienne se retrouve donc prise en otage entre la classe politique de son pays et les gangs criminels. Deux acteurs qui dans l’histoire de ces dernières décennies à Haïti, de François Duvalier à Jean-Bertrand Aristide, ont souvent entretenu des liens plus que troubles.
Yann Mens est le rédacteur en chef International d'Alternatives Économiques.
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