L’actu pour cette rentrée dans l’Église de France c’est, après cet été de feu, le mois de la Création, qui dure du 1er septembre au 4 octobre chaque année, jusqu’à la fête de saint François d’Assise. Qui dit rentrée, dit souvent bonnes résolutions. Alors comme chaque année, des paroisses vont organiser des marches pour la Création, des temps de prière, des repas écolos… et c’est très bien !
... Mais face à cela, on peut avoir l’impression que nos petits gestes, pourtant essentiels, ne fond pas le poids. Montrer l’exemple n’est pas le meilleur moyen de faire suivre un chemin : c’est le seul. Alors pour ceux qui le peuvent, peut-on aller plus loin sur ce chemin ? C’est la question que nous allons nous poser.
Et dans l’Église, ceux qui peuvent aller bien plus loin ce sont les évêques. Alors me direz-vous, il y a désormais des représentants à l’écologie intégrale dans la plupart des diocèses : je le sais, je l’ai été. Mais si on veut engendrer un vrai changement collectif, il ne faut pas s’arrêter là. Alors que faire ? Le chrétien étant appelé à être "prêtre, prophète et roi" par son baptême, il conviendrait de prendre au sérieux notamment sa vocation prophétique. Le prophète, c’est celui qui exhorte, qui dénonce.
Et des choses à dénoncer, il y en a quelques-unes comme par exemple les 24 "bombes climatiques" financées par le groupe français Total Énergie qui participent grandement à mettre en péril l’objectif des 2 degrés de réchauffement. Le projet le plus emblématique de l’entreprise française est le projet EACOOP en Ouganda et en Tanzanie : un projet à dix milliards de dollars où Total qui va émettre 34 millions de tonnes de CO2, soit six fois ce qu’émet l’Ouganda sur un an.
Dans ce pays, où l’on a découvert de vastes ressources pétrolières en 2006, Total fait du chantage à l’emploi aux gouvernements (dictatoriaux soit dit en passant) pour légitimer son action. En réalité sur le long terme, on peut penser à la vue de ce qui se fait ailleurs, le nombre d’emplois créés devraient être tragiquement inférieur à ce qui a été promis… alors qu’en parallèle, 100.000 paysans et ne paysannes ne peuvent déjà plus cultiver leurs terres pour se nourrir, couvrir leurs besoins de santé ou emmener leurs enfants à l’école car ils ont été expropriés de force tout le long des 1443km du pipeline.
Au-delà d’une cupidité avérée et au mépris de la population locale, ce projet EACOOP montre également l’absence flagrante de vision soutenable de ses responsables et en premier lieu de M. Pouyané, son président. N’oublions pas la probable destruction d’espaces naturels protégés et la pollution des lacs Albert et Victoria. Le projet est si vertueux que 15 banques, sept assureurs et un fonds d’investissement ont refusé de le soutenir. Même le président Macron a déclaré publiquement ne plus financer ce genre de projets depuis cette année, bien que ces dires soient manifestement contredits par les actions de l’ambassade de France à Kampala. Plus rare encore, le Vatican par la voix du Dicastère pour le développement humain intégrale, a officiellement pris position contre EACOOP, dans la droite ligne des encycliques Laudato Si' et Fratelli Tutti.
Alors en quoi ça nous concerne ? Et en quoi cela concerne les évêques ? Total Energies est une entreprise française qui a des intérêts opaques et ne respecte pas le conseil des droits de l’Homme de l’ONU qui a déclaré en octobre 2021 qu’avoir un « environnement sain et non pollué constitue un droit ». Enfin, si Total n’est pas directement responsable de cela, la loi sur le devoir de vigilance devrait les obliger à vérifier les conditions de travail des employés de leurs sous-traitant sur place…
Comme le dit le pasteur Bonhoeffer : "Ce n’est qu’en aimant la vie et la Terre assez pour que tout semble fini lorsqu’elles sont perdues, qu’on a le droit de croire en la Résurrection des morts et un monde nouveau." Le soutien des prélats français pourrait donc s’avérer de poids contre ce projet en contradiction totale avec la pensée sociale de l’Eglise et marquer une vraie cohérence de la part des évêques dans un monde qui en a cruellement besoin, de cette cohérence. Alors chers évêques, avez-vous vous aussi pris vos bonnes résolutions de rentrée ?
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