Ce jeudi 1er septembre, Journée Mondiale de Prière pour la Sauvegarde de la Création, débute le Temps de la création. Un mois pour célébrer l’œuvre de Dieu et inciter chacun, chacune, à s'engager pour un monde durable. Un mois pour se tourner avec confiance vers l'avenir alors que nous avons connu la sécheresse, les canicules, les incendies, les orages et les inondations... Cette proposition des Églises chrétiennes prend donc une tournure décisive. Après l'été de la prise de conscience, l'heure est venue du dévoilement et du changement.
"J’aime bien regarder le ciel, j’avais hâte que les hirondelles arrivent au mois d’avril. Mais il y en a très peu depuis qu’il a fait très chaud, je ne sais pas où elles sont allées et ça me fait mal au cœur. Je trouve qu’on ne regarde pas assez vers le ciel, trop vers la terre. On devrait regarder davantage la nature, tout ce qui nous entoure." Ces mots sont ceux d'Anne-Marie, auditrice de RCF dans le sud-Finistère. Au bord des larmes, elle exprime l’étendue du désarroi qui nous habite en cette rentrée, après un été aux airs d’apocalypse.
Un désarroi dont témoigne aussi une étude commandée par Avaaz et publiée au printemps dans The Lancet. Elle indique que 75% des 16-25 ans jugent le futur effrayant, 56% estiment que l’humanité est condamnée et 45% disent que l’écoanxiété affecte leur vie quotidienne. En cette rentrée, les chiffres seraient probablement encore plus élevés. Les résultats inquiétants de cette étude montre la nécessité de prendre rapidement à bras le corps la réponse aux enjeux écologiques.
C'est justement au sortir de cet été inquiétant que l'on est invités à participer au Temps de la création. Une proposition des Églises chrétiennes, qui se tient du 1er septembre au 4 octobre, sur le thème : "Écoutez la voix de la création". Un mois pour rendre "grâce à Dieu pour l’œuvre merveilleuse qu’Il a confiée à nos soins" et invoquer "son aide pour la protection de la création", selon les mots du pape François.
Les gars, on vous l’avait bien dit, ça fait 50 ans que les climatologues et les écologistes que l’on prend pour des utopistes ou des naïfs le répètent...
Le dérèglement climatique et ses conséquences, c’est maintenant. Pas demain. Et nous semblons, collectivement, en avoir massivement pris conscience cet été. Pour Julien Vidal, auteur du podcast "Ça commence par moi", rien de nouveau pourtant. Il explique : "Ma première vie professionnelle, en tant que coordinateur dans les ONG, m’a permis d’avoir une vision un peu plus mondiale. J’ai l’impression qu’il n’y a rien de nouveau : il y a eu l’Amazonie, l’Australie, les États-Unis. C’est juste que cette fois c’est chez nous." Pour autant, pour lui aussi la tristesse demeure : "Je ne peux pas m’empêcher d’être triste de tout ce vivant qui disparaît en fumée, parce que c’est une complexité qui a mis des centaines, des milliers d’années à s’organiser à s’épanouir et qui est rayée de la carte en quelques heures. Et ça, ça me rend vraiment triste."
Un sentiment de tristesse partagé par Hélène Binet, auteure, conférencière, directrice de la communication de Makesense, une communauté internationale qui accompagne des citoyens, des entrepreneurs et des organisations pour construire une société plus inclusive et durable. Tristesse et colère parce qu’elle se dit : "Les gars, on vous l’avait bien dit, ça fait 50 ans que les climatologues et les écologistes que l’on prend pour des utopistes ou des naïfs le répètent. On n’a jamais été aussi précis sur ce qui peut se passer et ça se passe. Et ça va encore plus vite que prévu." Mais aussi satisfaction face à la prise de conscience qui a énormément évolué face à cet été.
Nombreux et nombreuses sont les commentateurs et commentatrices qui évoquent en cette rentrée "la fin de l’insouciance". Et si c’était une très bonne nouvelle ? Et s’il y avait là de quoi entrer dans la joie et l’espérance plutôt que dans la peur et le repli ? Pour Hélène Binet, la réponse est oui, à condition de "réhabiliter les communs et le vivre ensemble, un projet qui pourrait être partagé par tous".
À condition de changer les imaginaires : qu’est-ce qui fait rêver ? Est-ce que des vacances en jet privé c’est le graal ou partir à vélo de chez soi et s’immerger dans la nature ça peut l’être autant ? » Elle invite à "réenchanter la sobriété plutôt que de la voir comme quelque chose de punitif". Pour Julien Vidal aussi, la fin de l’insouciance est une bonne nouvelle : "Si je le transpose à ma vie, j’ai l’impression qu’on est en train de passer de l’adolescence à l’âge adulte. Et moi, l’adolescence et l’insouciance qui allait avec, je l’ai hyper mal vécue et je me rends compte maintenant que je n’ai jamais été aussi heureux que dans cet âge adulte, assumé, responsabilisé, où j’ai le contrôle sur ma vie, sur mes choix. Et de creuser enfin qui j’ai envie d’être vraiment sans qu’on me l’impose, sans qu’on me le rende désirable par je ne sais quel effet de manche, du marketing, de la pression sociale, etc. Pour moi, c’est une formidable opportunité de se dire : c’est bien, allez, maintenant on y va, on est des adultes, on a la lucidité de se rendre compte à quel point c’est compliqué et en même temps on est désormais face à nos responsabilités. Et avec dans nos mains, et c’est ça qui est extraordinaire, tout un tas de leviers qui vont nous permettre de transformer nos modes de vie et qui en plus existent déjà. Rien n’est perdu, rien n’est trop tard. À toutes les personnes qui disent que tout est foutu, je dis non !"
Mais comment faire la bascule de l’ancien monde à celui qui vient ? Pour Julien Vidal, "tant qu’on restera sur notre sillon de surconsommation de masse, on continuera à n’agir que quand ça nous concerne directement, parce qu’en fait c’est une contrainte, quelque chose qu’on subit. Churchill disait : il vaut mieux prendre le changement par la main avant qu’il nous prenne par la gorge. Peut-être que 50 ans en arrière, on aurait encore pu opter pour le développement durable, la croissance verte. Aujourd’hui, on doit vraiment changer de sillon, changer de voie. Et donc, tant qu’on se dira on reste dans notre voie qu’on va essayer d’édulcorer, on le vivra mal, sous la contrainte et malgré nous. Mais si on change de sillon et qu’on se dit : on va viser d’autres croissances, on va viser d’autres modèles pour reprendre notre place parmi le vivant, alors on va agir avec notre cœur et surtout avec nos rêves. On va reprendre cette capacité enfantine, naïve dans le bon sens du terme à se dire « quand je serai grand, moi je… ». Et alors là, le rêve a une puissance d’action, d’énergie et de mobilisation pour fédérer le plus grand nombre, qui est extraordinaire."
Pour Hélène Binet, "l’action permet de sortir de la sidération". Elle cite Patrick Viveret : "Le mouvement inverse de la sidération c’est la désidération et la racine de ce mot c’est le désir. Comment on réhabilite le désir et comment on donne envie aux gens de passer à l’action. L’action a une autre vertu, c’est qu’elle réconcilie notre tête, notre corps et notre cœur." Elle invite à l’action collective, citant la climatologue Valérie Masson-Delmotte, auteure principale du GIEC, qui encourage à ne pas rester seul, à "se constituer un bataillon" pour affronter la situation. Helène Binet invite à se battre pour un projet commun et affirme : "Une fois qu’on a commencé à agir on ne s’arrête plus jamais." Et il s sont nombreux et nombreuses ceux et celles qui, déjà, ont répondu à cette invitation à agir. Et grâce à eux, à leurs projets, leurs actions, pour Julien Vidal, "on ne va pas dans l’inconnu, on va vers des choses qui sont déjà présentes tout autour de nous. Et on voit à quel point toutes les personnes qui sont dans ces nouveaux sillons sont épanouies, heureuses, autrement plus vivantes que nous, coincés dans notre case de surconsommateurs frustrés, parce qu’on sait que de moins en moins on va pouvoir laisser libre cours à nos pulsions matérialistes." Et il ajoute : "Il n’y a plus rien à inventer… sauf à la marge. Tout existe déjà ou presque et ça on ne le sait pas. Comme on n’a pas les bons coins à champignons on n’a pas les bons coins à monde de demain."
Mais ces changements de vie, ces transitions opérées un peu partout, par de petits collectifs, sont-elles vraiment de nature à changer tout le système ? "Dans l’histoire, tous les changements sont partis d’expériences individuelles, de petits groupes, affirme Hélène Binet. Ca n’a jamais été quelque chose d’imposé par le haut et qui a fonctionné. Si on prend les suffragettes au Royaume-Uni, au départ c’était un groupuscule de femmes. Même chose pour le combat des habitants du village de Plogoff contre la centrale nucléaire ou pour les Gilets jaunes. À chaque fois c’est des expériences qui partent du terrain et il ne faut surtout pas les institutionnaliser, il faut les laisser émerger. Il ne faut pas quelque chose d’uniforme mais des choses adaptées aux territoires et il faut donc que les politiques publiques créent ce terreau fertile pour qu’elles puissent exister." Pour Julien Vidal, "en France, on attend le grand soir où tout d’un coup tout aura changé. Et en plus on a une vision du progrès qui est linéaire. Or la vie c’est pas ça, la vie c’est un éternel recommencement, c’est un cycle. Tous les jours on doit retravailler, reconnecter, se développer. Et en plus, notre capacité à faire société est très complexe, aléatoire, imprévisible. J’aurais tendance à dire qu’il faut agir par égoïsme bien ordonné, bien placé, dans le sens où on va être tellement épanoui, tellement contagieux, qu’à un moment on va réussir à faire percoler le système. C’est un peu comme dans le jeu de go : on place plein de pions de manière aléatoire, des blancs, des noirs et tout d’un coup les 2 blancs vont être au bon moment et ça va retourner tous les noirs d’un coup." Une logique de long terme donc, et d’adaptation permanente à un réel qui bouge, qui change.
Les clés d’Hélène Binet
C’est pas foutu ! Tous les demi-degrés gagnés sont bons à prendre. Regroupez-vous, trouvez des alliés, on a besoin de groupes et d’endroits où on se sent en confiance ! Réhabitez le présent : faites en sorte qu’aujourd’hui soit meilleur, que chaque moment soit un moment de bonheur. Nourrissez-vous de beau et d’évasion, d’art, de poésie...
Les clés de Julien Vidal
Six actions mises en avant par une étude britannique, pour inviter les occidentaux à agir à la hauteur de l’urgence :
- Suivre un régime alimentaire majoritairement à base de plantes
- Ne plus acheter de vêtements neufs ou presque
- Garder ses produits électriques pendant au moins sept ans
- Ne plus prendre l’avion sur courte distance que tous les trois ans et sur longue distance que tous les huit ans
- Se séparer de son véhicule personnel si on peut ou mutualiser les déplacements au maximum
- Prendre une décision de vie majeure pour changer le système : aller vers une offre d’énergie verte, isoler son logement ou changer de banque.
Tout cela peut sonne un peu "il faut", admet Julien Vidal, mais une fois qu’on a fait ça on a fait place nette pour reremplir nos vies et c’est ça qui est enthousiasmant. Se demander comment on va remplir nos vies de tout ce qui nous fait du bien. Et Julien de conclure : "Sur notre lit de mort, je suis persuadé que les 10 choses auxquelles on repensera, ce ne sera pas toutes les émissions de télévision qu’on a binge watché ou ces heures passés dans les supermarchés mais les lectures, les balades en forêt, l’art, les moments en famille."
Julien Vidal est l’initiateur du mouvement “Ça commence par moi” et du podcast du même nom, qui visent à éveiller les consciences aux enjeux du dérèglement des écosystèmes et aux alternatives durables et solidaires. Il a publié il y a quelques mois chez Actes Sud le livre “2030 Glorieuses, utopies vivantes” qui met en lumière la manière dont ces utopies font déjà leur chemin de façon concrète et qui fait des propositions pour transformer l’essai à l’échelle de la société.
Hélène Binet est auteure, conférencière, directrice de la communication de Makesense, une communauté internationale qui accompagne des citoyens, des entrepreneurs et des organisations pour construire une société plus inclusive et durable. Elle a contribué au livre “Basculons dans un monde durable” (Actes Sud). Dans cet ouvrage, 30 jeunes citoyens de 18 à 33 ans, racontent comment ils ont basculé, c’est-à-dire comment la prise de conscience de l’urgence écologique les a fait bifurquer, choisir une vie autre que celle à laquelle ils étaient destinés.
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