Pour Féris Barkat, les montagnes et la manière dont nous les gravissons sont une métaphore de la vie. Et il a "peur du jour où il y aura plus de montagne à gravir, le jour où on n'aura plus d’histoires à se raconter pour se mettre en mouvement, le jour où on aura la conscience nue face à l’absurde".
Le thème de la montagne me fait penser à la métaphore de nos objectifs, de nos rêves. C’est un peu ça la montagne non ? Pour la gravir, on doit se surpasser et enfin atteindre le sommet. Dans cette quête, on ne commence pas tous avec le même matériel, avec la même carte pour se repérer, certains ont des raccourci. Bref, c’est ce qu’on appelle les inégalités. Mais dans le fond peu importe la vitesse à laquelle on avance, on finit par avoir à peu près chacun sa montagne.
Et que se passe-t-il une fois qu’on atteint le sommet ? Et bien c’est là tout le problème, dans "Le Mont Analogue", René Daumal exprime cette idée intéressante : gravir une montagne, c’est la faire descendre. Lorsqu’on est en bas, la montagne appartient au domaine des cieux mais une fois gravie, on se tient sur elle et cette montagne n’appartient plus aux cieux, c’est devenu ce sur quoi on se tient, comme le sol auparavant. Par contre, une autre montagne plus haute, appartient encore aux cieux. Nous voilà donc repartis vers une autre montagne, un autre objectif. Mais dans le fond, le chemin jusqu’en haut n'est-il pas plus jouissif que le fait d’atteindre le sommet ? Le sommet ne devrait-il pas être un prétexte pour profiter de la randonnée ? Au lieu d’être frustrés de ne pas l’atteindre, ne devrions-nous pas nous en réjouir ?
Moi je n’en sais rien, par contre je sais que ce que je raconte ça ressemble à ces poncifs qui disent que c'est le voyage qui compte et pas la destination. Confucius le disait déjà : le bonheur n’est pas au sommet de la montagne, mais dans la façon de la gravir. Albert Camus aussi, dans le mythe de Sisyphe, explique que Sisyphe, puni par les dieux, est condamné à redescendre à chaque fois qu’il arrive en haut. Camus écrivait que "La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux."
Camus parle aussi de l’absurde dans le mythe de Sisyphe : cet éternel recommencement de la vie. De la vie quotidienne, métro, boulot dodo ou avec nos objectifs, ces montagnes à gravir qui se succèdent. Je ne peux m’empêcher de penser que l’absurdité de la vie est telle qu’on devrait remercier les montagnes d’exister. Ce sont elles qui nous raccrochent à l’existence, qui nous permettent de nous autopersuader qu’il y a un sens dans tout ça. Parfois j’ai peur du jour où il y aura plus de montagne à gravir, le jour où on n'aura plus d’histoires à se raconter pour se mettre en mouvement, le jour où on aura la conscience nue face à l’absurde. Après je me souviens qu’il y a le réchauffement climatique et plein de problèmes sur Terre et là je suis rassuré, ah nan pas vraiment en fait, parce que certains arrivent tout de même à se persuader qu’il n'y a aucun problème, que tout va bien. Un peu comme quand j’étais enfant, tout allait bien ou plutôt tout allait mal mais je n’en savais rien.
Jeunes de la "génération climat", Féris Barkat, 20 ans et Stacy Algrain, 23 ans livrent en alternance, chaque semaine, leur regard sur l'écologie et leurs clés pour changer le monde.
Suivez l’actualité nationale et régionale chaque jour
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !