TRIBUNE CHRÉTIENNE - Colère des agriculteurs : derrière les chiffres et les revendications, il y a avant tout la vocation d’être agriculteur. Des hommes et des femmes qui donnent corps et âme pour leurs bêtes et leurs terres. Ils sont placés devant deux injonctions contradictoires : d’un côté une urgence écologique et de l’autre, des normes qui les usent. Cyrille Payot explique l’importance d’apporter une réponse collective.
Avant de dire quelques mots de la colère des agriculteurs, permettez-moi un détour pour revenir sur une phrase passée quasiment inaperçue et pourtant symptomatique, prononcée la semaine dernière dans l’hémicycle par notre Premier Ministre : « En cette année 2024, nous rouvrirons les portes de Notre Dame de Paris alors que l’image rétinienne des flammes reste aussi vive dans l’esprit des Français ». Intéressant : alors que la fréquentation des lieux de culte ne concerne qu’une petite minorité de Français, l’incendie de Notre Dame a réveillé une peur collective : celle de perdre un repère que l’on croyait éternel, avec la sensation de vivre un effondrement intérieur dans un monde que l’on ne maîtrise plus.
C’est symptomatique : nous réparons les symboles pour continuer par ailleurs à construire du provisoire à bon marché ; nous gérons l’urgence avec l’exigence de résultats immédiats, tout en vouant un culte aux bâtisseurs de cathédrale qui mourraient avant l’œuvre collective achevée. Nous faisons des dons pour reconstruire à la hâte des repères écroulés (plus d’un milliard d'euros ont afflué pour la reconstruction de Notre Dame- et tant mieux !), en étant par ailleurs fascinés ou indifférents par ceux qui savent donner de soi… pensons à cette pauvre veuve dans l’Evangile dont Jésus dira qu’elle a donné « tout son bios », tout son être ; elle n’a pas fait que donner ; elle s’est donnée en personne.
Derrière les chiffres et les logiques de calcul, il y a des personnes qui se donnent entièrement, vouées à leur métier. On parlera de vocation. Je l’ai encore mesuré dans le regard de ce jeune agriculteur au pied d’un cercueil près de Cognac la semaine dernière... un cercueil fleuri par la confédération paysanne dans lequel gisait celui qui, alors agriculteur retraité depuis peu, venait de lui céder son exploitation agricole. Nous sanctifions l’année 2024 en nous rassurant de voir Notre Dame enfin reconstruite, pendant que ceux qui nous nourrissent s’étranglent.
Derrière des chiffres négociés, il y a des vies d’hommes et de femmes qui aiment le fruit de leur travail, amoureux de leurs bêtes et de la nature. Ils cultivent le jardin de la Création pour le faire fructifier. Cela leur coûte. Ils sont placés devant deux injonctions contradictoires : d’un côté une urgence écologique qui, selon certains, justifierait le pacte vert européen (le fameux Green Deal), et de l’autre des démarches, des normes qui usent les agriculteurs étranglés par la concurrence, et qui demandent aujourd’hui une pause écologique.
D’abord, peut-être en acceptant humblement et collectivement que la réponse se trouve ensemble, avec et non contre. Et sans doute en distinguant ce que le sociologue Max Weber appelait l’éthique de conviction d’une éthique de responsabilité : nous pouvons avoir une conviction ferme (la conviction qu’il y a urgence à agir pour la planète) ; mais à nous de l’articuler à une éthique de responsabilité, une « éthique de l'adaptation au possible ».
Acceptant humblement et collectivement que la réponse se trouve ensemble, avec et non contre.
C’est par exemple tenir compte du taux de suicide des agriculteurs (deux par jour), de leur paupérisation (un quart des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté), de la pression insupportable qu’ils subissent (200 fermes par jour disparaissent en France). Les mouvements de protestation s’étendent jusqu’en Allemagne, Roumanie, Pologne après les Pays-Bas. Le Président Français a demandé une pause réglementaire auprès de l’UE : « N'en rajoutons pas plus» a-t-il déclaré.
A ceux qui prétendent que la « fin (la conviction) justifie les moyens », Gandhi rétorquait : « la fin est dans les moyens » comme « l’arbre est dans la graine ». Dans toute conviction, prenons soin aussi de celles et ceux qui, par vocation, se donnent.
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