LA CHRONIQUE DE THEO MOY - Face à la révolte des paysans, la gauche ressent comme une forme de malaise. Elle doit pourtant le dépasser, et offrir aux agriculteurs ses ressources et sa voix, pour éviter la disparition de la paysannerie française.
Face à un mouvement social paysan, le premier sentiment qui saisit la majorité de la gauche française tient en un mot : le malaise. Malaise face à un mouvement jugé d’arrière-garde, qui cible les normes environnementales, en veut aux écologistes, pose son tracteur en travers du chemin tracé vers un futur durable, sain et agréable à vivre.
On craint aussi, comme au moment des gilets jaunes, un mouvement intenable, irruptif, potentiellement violent, qui ne prendra pas de pincettes. Un paysan en colère, c’est un peu excessif, ça fait pas très démocratie participative.
Et que dire de leurs représentants, les affreux de la FNSEA, avec qui on ne veut rien avoir à faire, et tant pis si bien souvent ces derniers jours, ce syndicat majoritaire a été sifflé. Mais si la gauche pense peut-être qu’elle n’a pas besoin des paysans, une partie des paysans ont eux bien besoin de la gauche.
La gauche a les ressources pour mettre des mots, et les mots justes, sur leur colère.
Il ne suffit pas de proclamer comme l’ont fait des cadres écolos et socialistes ces derniers jours : attention votre ennemi n’est pas l’écologie mais le libéralisme.
Il faut, comme l’a fait Hervé Kempf, journaliste issu d’une famille paysanne et fondateur du média écolo Reporterre, entrer dans le détail.
Le passage que je m’apprête à vous lire est long, mais résume tout : « La réalité de la crise agricole découle de la poursuite inexorable du projet néolibéral de l’agriculture : un marché mondialisé, des firmes prenant le contrôle des principales productions, le mépris de l’environnement et des équilibres biologiques, le choix délibéré de réduire le nombre de paysans pour ne plus garder qu’une minorité d’agri-managers employant une main-d’œuvre prolétarisée (et souvent immigrée), tandis que subsisterait une frange d’agriculteurs fournissant des produits haut de gamme pour les riches. Nous sommes en fait engagés dans une impasse productiviste. »
Mais à gauche porter ce constat ne suffit pas, il faut montrer comment les gouvernements, les multinationales, souvent avec l’accord de la FNSEA, ont renforcé ce projet néolibéral, qui profite à une poignée d’agriculteurs et affame les autres.
Elle peut formuler de vraies propositions, et on peut citer là-dessus le député de la Somme François Ruffin qui appelle à une « exception agriculturelle française » et porte des propositions concrètes pour aider les paysans : des prix planchers, des quotas d’importation. Je cite Ruffin car il a compris je crois ce qui se joue : comme les ouvriers ont disparu à cause des délocalisations, on risque bien de voir disparaitre la paysannerie française.
Face à ce péril, les paysans ont besoin d’être représentés plus dignement que par l’extrême droite qui n’a rien à lui proposer sinon que quelques éphémères boucs émissaires. La gauche française aurait tout intérêt à se réapproprier un slogan souvent usité mais toujours efficace : « L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage ».
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