Le 20 juin dernier, 17 personnes ont été interpellées et placées en garde-à-vue, soupçonnées d’avoir participé au mois de décembre 2022 à une action de sabotage d’une usine du cimentier Lafarge.
L’homme dont je vais vous parler est un militant écologiste qui vit sur la ZAD de Notre Dame des Landes. Il a publié son témoignage la semaine dernière sur le média « lundimatin ».
Le 20 juin dernier donc, il est cueilli dans son lit, à l’aube, par les policiers cagoulés et surarmés de la BRI. Le voilà embarqué pour Paris, ou plus précisément Levallois-Perret, dans les sous-sol de la SDAT, c’est-à-dire la Sous-Direction-Anti-Terroriste. Il va y vivre 96h de garde à vue, soupçonné d’avoir participé à cette action de sabotage contre une usine polluante.
Début décembre, des dizaines de militants écologistes avaient fait irruption dans une cimenterie du groupe Lafarge pour dégrader ses installations. Objectif : dénoncer la pollution générée par l’usine mais aussi les liens de Lafarge avec Daesh en Syrie. Des liens révélés par des enquêtes de presse et qui valent au groupe une mise en examen en France pour complicité de crimes contre l’humanité.
Notre récit aurait pu s’arrêter là, car le militant qui témoigne a choisi d’exercer son droit au silence. Mais 96h, c’est long, et le commissaire chargé de l’interroger se montre, lui, plutôt bavard. Il interroge le gardé à vue sur l’action du gouvernement en matière d’écologie ou bien sur sa lecture du philosophe protestant Jacques Ellul, dont des œuvres ont été trouvées dans sa bibliothèque.
Mais, plus intéressant encore, il va révéler au détour de ses questions l’ampleur du dispositif déployé pour espionner ces militants écologistes.
« Tous les moyens reliés à la téléphonie et à l’univers numérique semblent avoir été mis en œuvre », raconte notre écologiste : écoute des appels, retranscription des sms, prélèvements de tous les numéros composés, géolocalisation en direct, étude des sites visités, exploitation des réseaux sociaux, et caetera et caetera
On découvre même - et on bascule là dans un véritable film d’espionnage - que des bornes GPS ont été déposées sous des véhicules, et des micros à l’intérieur. Sans parler des filatures menées, à pieds ou en voiture. Autant d’éléments qui, dans une démocratie comme la nôtre, devraient alerter.
Certes, les dégradations de biens sont punies par la loi, et l’Etat peut en toute légalité et légitimité enquêter pour identifier les coupables. Mais confier une telle enquête à des services antiterroristes pose question. Ces moyens ici employés pour traquer des militants écologistes ont été conçus pour réprimer les crimes les plus odieux et violents, à savoir les attaques terroristes qui ont tant meurtri la France.
Ils ne sont pas adaptés pour surveiller des militants politiques qui ne ciblent que des biens matériels. Et on peut craindre que cette inadéquation des moyens avec l’objectif visé se retourne contre l’appareil d’Etat.
Aujourd’hui, une grande partie de la jeunesse s’inquiète du changement climatique et s’alarme d’une certaine inaction de l’Etat français. Dans ce contexte, cette démonstration de force risque de cliver encore davantage. Des militants qui seraient hésitants sur les méthodes à employer pourraient avoir le sentiment d’être traités en ennemis, et d’agir comme tels.
En réalité il y a une chose qui me rend optimiste dans cette affaire, c’est la justice. Après cette garde à vue, les policiers de la Sous-direction antiterroriste espéraient un déféremment devant la juge d’instruction et une détention préventive des 17 interpellés. Mais la juge a, elle, décidé de les relâcher, prenant clairement de la distance avec l’enquête. Une justice indépendante, c’est le signe, malgré tout, d’une démocratie encore fonctionnelle.
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