Aujourd'hui Clotilde Brossollet se livre à une introspection. À la suite des révélations des accusations sexuelles portées contre l'Abbé Pierre, l'éditrice pose la question de la responsabilité collective des chrétiens dans l'affaire. Avec la volonté de l'Église d'étouffer l'affaire, ne sommes nous pas aussi complices du silence qui a régné ?
Jusqu’à présent, les abus dans l’Église étaient restés une affaire de catholiques, une affaire d’Église. La remise du rapport de la Ciase avait été une invitation à rendre compte aux propres membres de l’Église et aux victimes d’un aveuglement coupable. Au monde, l’Église avait envoyé un message d’humilité et d’un désir de vérité. Le monde n’exigeait rien de plus, seules les victimes et les catholiques eux étaient en position d’exiger plus. Là, le scandale éclate au-delà des frontières de l’Église, il touche une personnalité qui appartenait à l’ensemble de la société française. Que le Père Intel soit un prédateur sexuel, qui, au-delà de ses victimes, cela peut-il bien bouleverser ? Ces proches, ses paroissiens ? Que l’abbé Pierre soit un prédateur sexuel, qui cela peut-il bien bouleverser ? Les Français sur plusieurs générations— de ceux qui ont entendu l’appel de l’hiver 54 jusqu’à ceux qui encore aujourd’hui chinent à Emmaüs chaque samedi —, les 70 000 personnes qui sont accueillies, hébergées, aidées accompagnées chaque année par Emmaüs, sans oublier sans oublier tous ceux que la Fondation Abbé Pierre a soutenus… La réponse est vertigineuse !
À la stupéfaction et la colère a succédé une profonde honte. J’ai honte parce que l’Église, en tant qu’institution à laquelle moi aussi j’appartiens savait, parce qu’elle a cherché à cacher ces crimes par crainte du scandale. J’ai honte parce que l’Église, en tant qu’institution, n’a pas assumé sa responsabilité à l’égard d’un de ses membres les plus populaires et n’a posé aucun acte public fort pour l’empêcher définitivement. J’ai honte du mépris dont l’Église a fait preuve à l’égard de ces femmes victimes et de celles qui, par son silence, le sont devenues. J’ai honte de la lâcheté de mon Église et de ses représentants qui ont fui devant leur devoir de pasteur à l’égard d’une de leurs brebis galeuses et qui aujourd’hui se défaussent encore.
L’abbé Pierre avait donné à voir le visage d’une Église proche de sa vocation, certes pas sans défaut, certes pas sans faiblesse mais une Église qui dérange, qui se retrousse les manches pour lutter contre l’injustice, d’une Église qui se fait proche de celui qui a faim, de celui qui a soif, de celui qui est étranger, de celui qui est nu, de celui qui est malade, de celui qui est en prison. Une Église qui s’abaisse par amour car elle sait que, dans celui qui souffre, le Christ
est présent. Aujourd’hui, j’ai honte car je n’ai pas le droit de renier l’abbé Pierre, il était prêtre et il appartenait à cette Église à laquelle j’appartiens. J’ai honte car les crimes qu’il a commis ont non seulement éclaboussé l’Église mais ils ont aussi trahi ce signe qu’est l’Église pour le monde : les crimes de l’abbé Pierre jettent le doute sur la raison d’être profonde de l’Église.
Alors ce matin, bien que je ne sois pas coupable de ce silence qui a permis à l’abbé Pierre de faire prospérer son péché criminel, je voudrais demander pardon. S’il était bien mon frère dans ses luttes pour la justice, il le reste aussi dans ses crimes. Je voudrais donc demander pardon.
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