François Mandil invite à inventer un nouveau monde où la vitesse, la puissance, la force, la domination, l’individualisme ne seraient plus des valeurs positives. Ou au contraire, le calme, la coopération, l’entraide, la fragilité, l’attention aux autres deviendraient des valeurs centrales, permettant ainsi au vélo et à toutes les mobilités alternatives à la voiture, de se généraliser.
Je voulais commencer en prenant une piste parallèle et vous partager un de mes souvenirs de cours de Sciences économiques et sociales au lycée, sur la loi de l’offre et de la demande. De façon un peu rationnelle et spontanée, il nous parait évident que diminuer le prix d’un produit va permettre d’augmenter les ventes. « Pas du tout », nous explique alors notre professeur « dans le luxe, c’est l’inverse. Si les ventes d’un produit diminuent, il faut augmenter le prix et les ventes repartent ». Quand les gens achètent des parfums ou des voitures de luxe, ce qu’ils achètent n’est pas tant le produit que le prestige social qui va avec.
Alors pourquoi ai-je fait ce petit détour ? Parce que la voiture est le symbole même de ce prestige et que ce n’est vraiment, vraiment pas le cas du vélo. Nous sommes évidemment très peu nombreux à pouvoir nous offrir des voitures de luxe et même, encore heureux, à souhaiter nous offrir une voiture de luxe, mais dans la culture, dans notre inconscient, nous savons tous et toutes, que la voiture est un indicateur du statut social.
Nous faisons rêver les petits garçons devant les voitures en leur expliquant que s’ils ont la voiture, ils auront la femme qui va avec. Nos moyens de déplacement, ce qui nous guide dans le choix des véhicules, ce n’est pas tant l’efficacité ou le prix, mais la place démesurée prise par la voiture individuelle dans l’inconscient collectif.
Bien sûr, on peut aussi regretter qu’il soit plus compliqué et dangereux de se déplacer à vélo. Mais je pense que c’est justement parce que nous vivons dans une société qui survalorise la voiture individuelle. Les villes ont été modifiées, restructurées autour de la voiture. La place, physique cette fois, l’emprise au sol consacrée à la voiture, est disproportionnée. Pendant des décennies, on a favorisé la voiture, et donc forcément, aujourd’hui, il devient compliqué de faire autrement. C’est en train de changer dans certaines villes, mais on en est encore loin en zones rurales où il serait pourtant possible d’inventer des modularités avec des transports collectifs.
Vous vous rendez compte qu’on construit des bolides capables de rouler à 150 ou 200 km/h, alors que ces bolides passent 95% de leur existence à l’arrêt et que, quand ils roulent, ils sont essentiellement à moins de 50 km/h ? A quel moment peut-on considérer qu’il s’agit là d’une logique pertinente ? Qu’est-ce qui explique cette absurdité si ce n’est le roman, la construction mythologique autour de la voiture ?
Sans doute faudrait-il une même construction mythologique autour du vélo. En tout cas, il faut réussir à transformer le regard sur les autres mobilités. Attention, si le vélo devient le nouveau symbole de puissance virile, si les pubs pour les vélos se mettent elles aussi à reprendre des clichés sexistes, ce serait un échec. Dans certains quartiers, les vélos cargos, les vélos qui permettent de transporter une fournée d’enfants pour aller à l’école, deviennent à leur tour des marqueurs sociaux, mais cela reste marginal, et c’est aussi le signe d’une fracture sociale.
Si on veut associer la joie et le vélo, ce n’est pas simplement sur l’image du vélo qu’il faut travailler, mais sur la conception générale du nouveau monde. Un nouveau monde où la vitesse, la puissance, la force, la domination, l’individualisme ne seraient plus des valeurs positives. Si au contraire, le calme, la coopération, l’entraide, la fragilité, l’attention aux autres deviennent des valeurs centrales, alors naturellement, le vélo et toutes les mobilités alternatives à la voiture, n’auront aucune difficulté à se généraliser.
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