LE POINT DE VUE DE NATHALIE LEENHARDT - J-3 avant ces élections législatives provoquées le 9 juin dernier par Emmanuel Macron… Dans quel état d'esprit est Nathalie Leenhardt ?
Un sentiment de vertige, une forme de paralysie, un sourd découragement: voilà ce que je ressens depuis le 9 juin. Je ne suis pas la seule. C’est un peu comme si tous mes repères, comme si nos repères communs étaient tombés. Comme si la raison avait laissé place aux dérives idéologiques, comme si on pouvait faire dire n’importe quoi aux chiffres, comme si l’évidence des faits pouvait être travestie par l'intransigeance des extrêmes. J’ai dans la bouche ce goût amer d’un "trumpisme" à la française doublé de sectarisme où quelques-uns peuvent faire avaler à beaucoup d’autres n’importe quoi, par le seul fait de discours mensongers.
C’est dur et c’est fatigant. Chacun, chacune est renvoyé à ses seuls intérêts personnels, à ses seules craintes. Quid de l’intérêt général ? N’y-a-t-il pas vraiment aucune autre façon de diriger notre pays, en développant la culture du compromis ?
Oui je me prends à rêver que, de ces turbulences actuelles, provoquées par une dissolution décidée par un seul, sortira du meilleur. Du mieux, c’est-à-dire du dialogue sur l’essentiel, entre des gens de bonne volonté, entre des démocrates susceptibles de s’entendre pour voter des lois équilibrées et de remettre en place des priorités. Car il est bien des combats communs à mener : la lutte contre le dérèglement climatique et pour une plus grande justice économique ; la défense des valeurs de la République, d’une laïcité intelligente et non sectaire, de l’égalité des chances, de la remise sur pied des services publics, en premier lieu celui de l’hôpital.
Ces hommes et ces femmes politiques attachés au bien commun plus qu’à leur pré carré idéologique, il en existe dans un large spectre qui va de la droite républicaine à la gauche modérée, toutes celles qui refusent le radicalisme, la logique du bouc-émissaire, l’intransigeance. Des réformistes en quelque sorte, si la protestante que je suis ose ce clin d'œil…
Je m’interroge : pourquoi n’avons-nous jamais été capables de réinventer une forme d’union nationale pour sortir notre pays de l’ornière, comme ce fut le cas à la fin de la Seconde Guerre mondiale ? D’autres nations y parviennent, pourquoi pas nous ? Pourquoi ces politiques intelligents, raisonnables, qui se connaissent et se côtoient ne peuvent-ils pas sortir de leurs logiques partisanes, de l’obéissance inconditionnelle aux chefs de partis ?
Comment notre pays en est-il arrivé à ce point de blocage qui nous place face à ce malaise grandissant, qui va renforcer les clivages, créer davantage de dissensions, encourager les replis communautaires, déjà bien installés dans nos villes, nos quartiers, nos campagnes ?
Il y a 15 jours, commentant le résultat des élections européennes, j'avais invité nos auditeurs à se plonger dans les écrits d'Olivier Abel sur l’humiliation et de Cynthia Fleury sur le ressentiment. Quelle fut donc ma (bonne) surprise de trouver juste après, dans La Croix l’Hebdo, les entretiens de ces deux philosophes. Quand Cynthia Fleury explique à quel point se comparer à autrui est délétère, combien le ressentiment n’a jamais produit de justice sociale, combien il fragilise la démocratie mais la pousse à s’améliorer, il faut la lire. Quand Olivier Abel attribue cette fragilité au manque de confiance en soi des citoyens français, de la beauté et de la force de leur culture, il faut le lire. Il dit autrement ce que disait déjà Esaïe, qui expliquait que pour élargir l’espace de sa tente, il faut affermir ses piquets. Pour accueillir pleinement l’autre, il faut d’abord savoir qui on est…
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