Il y a trente ans, le Saint-Siège reconnaissait officiellement l'État d'Israël. C'est à Jean-Paul II que l'on doit cet "accord fondamental" jugé d'une importance historique. Tout au long de son pontificat, le pape polonais a entretenu des relations particulières avec les communautés juives. De tous les souverains pontifes, il reste à ce jour le plus fin connaisseur du judaïsme. Pourquoi un tel attachement ?
Il y a près de trente ans, le 30 décembre 1993, le Saint-Siège reconnaissait officiellement l’État d’Israël. C’est à Jean-Paul II que l’on doit cet "accord fondamental" signé entre les deux États. Il prévoit notamment pour les entités catholiques sur le territoire israélien une reconnaissance juridique ainsi que des exonérations fiscales. Mais plus encore qu’une mesure diplomatique, le chef de l’Église catholique a reconnu "une terre donnée par Dieu au peuple juif", comme l’explique Jean-Dominique Durand, historien du christianisme et président de l'Amitié judéo-chrétienne de France (AJCF). "Cet accord fondamental est un événement véritablement historique." L’occasion de revenir sur les liens si particuliers entre Jean-Paul II et les juifs. Le prédécesseur de Benoît XVI avait fait des relations entre l'Église et les juifs l'une des priorités de son pontificat.
Dans l’histoire des relations entre Jean-Paul II et les communautés juives, il y a des moments marquants qui ont laissé des images fortes - le chef de l’Église catholique devant le mur des Lamentations en 2000 ou dans la grande synagogue de Rome en 1986, où il a dit aux juifs : "Vous êtes nos frères aînés." Il y a aussi des prises de paroles qui ont à jamais modifié le rapport entre les juifs et les catholiques. Si bien qu’après Jean-Paul II, l’antisémitisme est devenu "impossible pour un chrétien", comme le rappelle Jean-Dominique Durand. L’ensemble des prises de parole de Jean-Paul II sur le judaïsme a été compilé dans le livre "Une fraternité renouvelée" (éd. Le Cerf, Bayard, Mame, mars 2022). Un texte de près de 400 pages car "partout où il passait, Jean-Paul II voulait rencontrer les communautés juives..." Parmi les textes marquants, il y a eu en particulier ce fameux discours devant les représentants de la communauté juive de Mayence, le 17 novembre 1980. "Un tournant essentiel", décrit l’historien.
"La première dimension de ce dialogue, c’est-à-dire la rencontre entre le Peuple de Dieu de l’ancienne Alliance, une Alliance qui n’a jamais été dénoncée par Dieu (cf. Am 11, 29), et le Peuple de Dieu de la nouvelle Alliance, est en même temps un dialogue intérieur à notre Église, s’établissant pour ainsi dire entre la première et la deuxième partie de la Bible."
Discours de Jean-Paul II aux représentants de la communauté juive de Mayence, le 17 novembre 1980
En déclarant que l’ancienne Alliance "n’a jamais été dénoncée par Dieu", Jean-Paul II a "remis en cause d’une manière catégorique" la théologie de la substitution. Doctrine qui a longtemps perduré selon laquelle le christianisme serait venu dans l’histoire se substituer au judaïsme. "Mayence c’est le parachèvement de Nostra Ætate" selon l'historien, cette déclaration du concile Vatican II, qui, en 1965, mettait définitivement fin à l’idée que le peuple juif était le peuple déicide. Et qui affirmait le lien intrinsèque entre le christianisme et le judaïsme.
Aucun pape avant lui n’a eu une connaissance intime, quasiment de l’intérieur, du judaïsme
Karol Wojtyla est né en 1920, dans une ville, Wadowice, non loin d’Auschwitz, où 45% de la population était juive. "Il avait de nombreux amis juifs, raconte Jean-Dominique Durand, son meilleur ami était le fils du président de la communauté juive." Il a donc pu développer, enfant, une connaissance intime du judaïsme. "Aucun pape avant lui n’a eu une connaissance intime, quasiment de l’intérieur, du judaïsme."
Jean-Paul II avait aussi conscience du drame de l’antisémitisme. Dans un pays qui, comme le rappelle l’historien, a donné beaucoup de Justes parmi les nations, nombreux aussi sont ceux qui "ont participé à la mise en œuvre de la Shoah". Or, comme l'a souligné Jules Isaac, l'antisémitisme à l'œuvre dans la Shoah a puisé ses racines dans un antijudaïsme entretenu au sein de l’Église. En Pologne, précise Jean-Dominique Durand, il y a eu des pogroms jusqu’en 1946… Jean-Paul II "n’a jamais été attiré ni séduit par un discours antisémite", assure l’historien. "On ne trouve aucune trace d’antijudaïsme" dans ses écrits, "bien au contraire…"
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Une affaire entache toutefois ces relations entre juifs et chrétiens sous le pontificat de Jean-Paul II. Nous n'avons pas encore accès aux archives, mais nul doute qu’elle a peiné un homme aussi conscient que lui du drame de la Shoah. Entre 1984 et 1993, durant presque dix ans, l'affaire du carmel d’Auschwitz a été "un moment compliqué, très difficile", admet Jean-Dominique Durand. Elle concerne une communauté de carmélites qui avait installé son couvent à l’intérieur du camp, avec "une croix du Christ assez monumentale".
Si l'on peut croire que ces religieuses étaient de bonne foi, et vraisemblablement ignorantes de ce que représentait la Shoah dans l'histoire du peuple juif, assure Jean-Dominique Durand, "il y avait là tous les ingrédients pour heurter, choquer, scandaliser les juifs". Ceux pour qui le fonctionnement de l’Église n’était pas clair ont cru à "un double langage" de sa part. Et "que rien n’avait changé" dans les relations avec les chrétiens. Or, "la hiérarchie n’avait pas de prise" sur cette congrégation. Il a fallu que Jean-Paul II "se fâche", raconte l'historien, pour finalement "imposer aux religieuses sa force de conviction de pape". Et que celles-ci quittent les lieux.
Quelles leçons tirer de cette affaire ? Il a fallu toute l’énergie d’un certain cardinal Jean-Marie Lustiger et aussi le "travail remarquable" de l’archevêque de Lyon, Mgr Albert Decourtray, pour convaincre les communautés juives de la bonne volonté de l’Église. Mais "à tout moment", des "malentendus peuvent surgir". "L’histoire pèse tellement, explique Jean-Dominique Durand, une telle histoire de persécutions, de haine, de la part des chrétiens contre les juifs, que, à n’importe quel moment, le feu peut prendre, des polémiques peuvent surgir." Ce pourquoi il faut se montrer "très attentifs", rappelle le président de l’AJCF, et "préserver le dialogue" et la connaissance mutuelle en permanence.
Cette émission, réalisée sous forme d’entretiens, a pour objectif la découverte des racines juives du christianisme. La culture et les références chrétiennes étant de moins en moins connues, il est important d’en rappeler les racines et donc le sens. Et c’est dans la tradition juive qu’il faut chercher cet enracinement, tant dans le domaine de la prière que de l’éthique ou des textes évangéliques.
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