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François Cassingena-Trévedy, ermite en Auvergne : la liturgie de la terre

RCF, le 31 octobre 2024 - Modifié le 31 octobre 2024

Après vingt-six ans de vie monastique, Frère François Cassingena-Trévedy vit désormais en ermite sur le plateau du Cézallier, en Auvergne. Ce moine poète, prêtre et normalien, se sent enfin à sa place ! Paysan parmi les paysans, il mène une vie terreuse, prosaïque et mystique. Rencontre avec une figure importante et atypique du catholicisme d'aujourd'hui.

Ermite, paysan et poète, Frère François Cassingena-Trévedy a fait "vœu de stabilité dans le Cantal" ©Éditions Albin MichelErmite, paysan et poète, Frère François Cassingena-Trévedy a fait "vœu de stabilité dans le Cantal" ©Éditions Albin Michel

À 64 ans, Frère François Cassingena-Trévedy vit depuis trois ans une expérience nouvelle, radicale. Il ne vit plus à l’abbaye de Ligugé où il est entré en 1995. Il est désormais ermite sur le plateau du Cézallier. Ce normalien, docteur en théologie, spécialiste de la liturgie est devenu un paysan parmi les paysans. Une expérience terreuse, prosaïque, mystique, qu’il raconte dans son livre "Paysan de Dieu" (éd. Albin Michel, 2024). François Cassingena-Trévedy est une figure spirituelle atypique, dont la voix compte aujourd’hui dans la sphère catholique. Poète, écrivain, il s’est fait connaître du grand public en 2016 grâce à son livre "Cantique de l'infinistère - À travers l'Auvergne" (éd. Desclée de Brouwer), qui a reçu le grand prix catholique de littérature 2017. Il développe dans ses textes une spiritualité au plus près du réel, du concret de la vie et des éléments.

Quitter la vie monastique

"S’il ne tenait qu’à moi, je ne bougerais pas du tout !" Frère François Cassingena-Trévedy a fait "vœu de stabilité dans le Cantal". Depuis 2021, il mène une vie solitaire, même si la vie monastique l’était déjà un peu. S’installer à Sainte-Anastasie (en fait la nouvelle commune de Neussargues en Pinatelle, entre Brioude et Aurillac) procède d’un "retour". Retour vers cette "première intuition du Royaume, que l’on découvre dès l’enfance…"

Né à Rome de père italien et de mère bretonne, François Cassingena-Trévedy passait, enfant, ses vacances au Mont-Dore. L’Auvergne, c’est "le fil conducteur de [sa] vie". "Immédiatement, j’ai eu un attrait profond pour cette terre volcanique, rude, la neige, la paysannerie de l’époque, très sauvage." Il se dit "aimanté" par ce territoire qu’il n’a jamais vraiment quitté, même lorsqu’il réussissait de brillantes études en Lettres classiques à Paris. Lui, l’intellectuel, a été poussé par un "instinct animal" à "revenir" sur les lieux de son enfance. Ou bien revenir à lui-même ? "Va vers le pays que je te montrerai", dit-il en citant l’injonction de Dieu à Abraham dans la Bible.

Cela semble une évidence de le voir en tenue de paysan, les bottes au pied et le béret sur la tête. Cependant, l’idée quitter l’abbaye où François Cassingena-Trévedy vivait depuis vingt-six ans - tout en restant canoniquement moine de Ligugé - est le fruit d’un long discernement. "Je n'ai soif que d'un immense retirement", explique le moine littéraire en citant Montherlant ("La Reine morte"). "Je sais que je ne rentre dans aucune case, confie-t-il. Je ne suis pas ni un révolté ni un électron libre, pas du tout ! J’ai toujours été très soumis. Mais l’homme fait son chemin. Chacun de nous fait son chemin. Et ce chemin il est unique."

 

Fuir le monde ?

Frère François confie sans mal avoir "fui" - "mais ce n’est pas une honte de fuir". Comme les moines de l’Antiquité, il a fait son "anachorèse", son exode vers la vie rurale. Il a aussi tourné le dos à un certain "dégoût". "Peut-être une certaine vanité, une certaine inadéquation aussi, de tout un discours, de tout un fonctionnement. Vous savez, quand on a un tempérament… quand on se pose des questions et que l’on est fondamentalement un poète - ce que j’espère être, ce que je n’aime pas dire parce que, déjà, dire que l’on est poète c’est trop - mais lorsqu’on a ce tempérament, la vie n’est pas facile."

La vie d’un paysan d’Auvergne non plus, n’est pas toujours facile. Dans ces contrées souvent austères, il se rend à pied - car il ne possède pas de voiture - proposer ses services aux fermiers voisins. "Traire les vaches, réparer les clôtures, nettoyer un tracteur, retirer la bouse, pousser le foin devant les bêtes. J’ai appris sur le tas avec une sorte d’instinct..." Quand, chaque jour, il célèbre la messe, et qu’il consacre le pain "fruit de la terre et du travail des hommes", il sait de quoi il parle ! "Mes mains ont changé, elles sont devenues calleuses, j’ai des rhumatismes, des tendinites. Je sens dans mon corps, fraternellement, ce métier sans âge."

Jamais cependant, François Cassingena-Trévedy n’a douté de son choix. Dans son livre, il raconte une vie en prise avec les éléments, en permanence. Il parle du feu dans la cheminée, du vent qui souffle, de l’eau qui dégouline sur le toit, de la rivière à côté de la maison assourdissante les soirs de pluie… "Ça dit le solide, indique-t-il. Et plus je vieillis plus je suis attaché à cette solidité du monde" - un monde solide parce que "réel". Dans son livre, il y a aussi l’odeur, en particulier celle de la bouse des vaches. Il en parle beaucoup, "volontairement, insolemment" pour "rappeler la descente dans le concret du travail, de l’élément terre, de l’animal face à ce monde d’abstraction, de virtualité, d’artificialité, de distance..." Est-ce cela qu'il a voulu fuir ?

 

Je partage une vie d’homme, de vrai homme et un vrai travail d’homme. Et j’en suis très fier ! Et à mon avis, c’est ça qui devrait soutenir tout ministère presbytéral

 

Paysan parmi les paysans

François Cassingena-Trévedy est un poète enraciné dans le monde paysan. "La poésie n’est pas affaire de mots ou de vers, c’est un rapport fondamental au réel aux êtres, aux choses. Un rapport d’émerveillement, d’étonnement, d’admiration, de questionnement, de fraternité." Convaincu de la "fécondité" de sa vocation, il ne se sent surtout pas prosélyte. "Écrire, c’est partager, inviter, entraîner, indiquer sans aucune intention prosélyte. Je suis le représentant de rien du tout ni de qui que ce soit."

Sa vie de moine paysan est rythmée par "deux liturgies" - "c’est pourquoi elle est si solide", dit-il. Il y a la liturgie des heures, le rythme monastique des offices, auquel il n’a "jamais été aussi attaché". Et puis il y a "la liturgie des bêtes, du service, du travail manuel". Il se tient au courant de l’actualité agricole. Signe qu’il fait partie du pays, on le tutoie. Évidemment, dans le voisinage, tout le monde sait que François Cassingena-Trévedy est prêtre. On lui demande parfois comme un service de bénir les troupeaux ou de "dire une messe pour Maman".

Les rituels autour de la mort, comme veiller un défunt, sont encore pratiqués dans sa région. Ce qui se fait très peu dans le reste de la société. La mort en général est très présente dans le monde paysan qu'il fréquente. Ainsi le moine n'ignore pas le drame des suicides d'agriculteurs qu'il évoque dans son livre. "Ils m’annoncent une humanité, une réalité, une solidité, un monde. Je partage une vie d’homme, de vrai homme et un vrai travail d’homme. Et j’en suis très fier ! Et à mon avis, c’est ça qui devrait soutenir tout ministère presbytéral."

 

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