Il y a trois ans, le rapport Sauvé a émis des recommandations notamment au sujet du droit canon. Par exemple, ne pas juger les cas de pédocriminalité au regard du sixième commandement sur l'adultère mais du cinquième commandement : "Tu ne tueras point". Pourquoi une telle proposition ? Est-elle applicable ? La Ciase a-t-elle changé quelque chose au droit canon ?
En 2002, le pape Jean-Paul II disait des "abus" sexuels sur mineurs qu’ils "sont, à tout point de vue, injustes et considérés à juste titre comme un crime par la société ; il s'agit également d'un effroyable péché aux yeux de Dieu." (Discours devant les cardinaux américains, du 23 avril 2002). Péché ou crime ? Quelle différence au regard du droit de l’Église catholique ? Il y a trois ans, le rapport de la Ciase a émis des recommandations précises au sujet du droit canon. La sortie du podcast Silence, on crie est l’occasion de revenir sur les principaux chantiers du droit canon.
"Ce que nous avons découvert est absolument ahurissant et inacceptable", a déclaré Jean-Marc Sauvé au sujet du droit canon et du fonctionnement des tribunaux ecclésiastiques. Pour le président de la Ciase (2018-2021), une réforme est "indispensable". Le rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église a été publié il y a trois ans.
Le rapport Sauvé a-t-il changé quelque chose au droit canon ? Selon un juriste que nous avons contacté, "il n’y a pas eu depuis le rapport de la Ciase de changement notable dans le droit canon". Pour cet avocat de formation, le tribunal pénal canonique national est, comme la Ciase, "un des fruits de l’affaire Barbarin".
Si une réforme du droit pénal canonique est entrée en vigueur en décembre 2021 (signée le 23 mai par le pape François), difficile de dire quel poids a eu le rapport de la Ciase dans les plus hautes instances de l’institution ecclésiale. On s'en souvient, la visite des membres de la Ciase prévue le 9 décembre 2021 a été reportée sine die - "torpillée", selon Jean-Marc Sauvé, par l’Académie catholique. Reste que le 25 mars 2023 le pape a actualisé le motu proprio "Vos estis lux mundi" sur la lutte contre "les crimes d’abus sexuels", du 7 mai 2019.
Tout ce qui concerne le droit canon, c’est-à-dire le droit de l'Église catholique, se décide au Vatican. La Ciase avait notamment soulevé des problèmes de fonctionnement. "Il est vraiment indispensable de revoir le droit canonique pour y introduire les principes, les règles du procès équitable et faire en sorte que les victimes puissent accéder à la procédure", a déclaré Jean-Marc Sauvé dans une interview exclusive à l’occasion de la sortie du podcast Silence, on crie.
En juin 2022, un Vademecum a été publié par le Vatican. Celui-ci précise des points au niveau de la procédure dans le traitement des cas d'abus sexuel sur mineur commis par des clercs, mais à titre de recommandation. Certes, ce Vademecum représente "une avancée", d'après notre juriste. On est en train, selon lui, d'évoluer vers une clarification et une modification du droit. Notamment en ce qui concerne la simplification d’accès aux débats et la transparence des procédures. Mais la place et l’accompagnement de la victime dans la procédure reste insuffisamment prise en compte, estime le Père Nicolas de Boccard, juge ecclésiastique du diocèse de Lyon.
Délit canonique, crime et péché : quelle différence ?
Ce que le droit canonique considère comme un délit est un acte grave. Un délit canonique est peut être comparable à ce que le droit civil considère comme un crime.
Toutefois, si les délit canoniques sont nécessairement des péchés, les péchés graves ne sont pas tous des délits. Délits et péchés ne sont pas du même ordre. Les premiers relèvent de la morale et les seconds du droit.
"Le droit de l’Église n’entend pas – loin de là, se substituer au droit civil. Il le complète dans les domaines qui lui sont propres – en particulier la sainteté des sacrements : celui de l’eucharistie et de la confession, précise le Père Nicolas de Boccard. C’est essentiellement pour cela qu’il y a un droit pénal ecclésiastique. Se sont ensuite adjoint des délits peu protégés par la société : vis-à-vis de l’avortement et des délits contra sextum, en particulier sur mineur mais aussi des délits financiers."
Parmi les 45 recommandations de la Ciase, l’une d’elle dit : "Pour qualifier, en droit pénal canonique, les violences sexuelles commises sur des mineurs et personnes vulnérables, substituer à la référence au sixième commandement (« Tu ne commettras pas d’adultère »), une référence au cinquième commandement (« Tu ne tueras pas »)." (n° 37) Juger un prêtre auteur d'actes pédocriminels au regard du sixième ou du cinquième commandement, qu’est-ce que ça change ? Pour Jean-Marc Sauvé, les abus sexuels sur mineurs, "ça n’est pas une offense à la chasteté, c’est vraiment une œuvre de mort, c’est le 5e commandement, c’est : Tu ne tueras pas."
En juin 2021, le pape François a signé une réforme du livre VI du droit canon. Désormais, les délits "avec un mineur" sont pris en compte spécifiquement et entrent dans dans la catégorie des "délits contre la vie, la dignité et la liberté humaines". On reste dans les délits "contre le sixième commandement".
Au regard de quoi une agression sexuelle sur mineur entre-t-elle dans la catégorie de "l'adultère" ? Il faut avoir en tête que le droit canonique pénal vise à sanctionner l’infraction commise par un prêtre à l’égard des lois de l'Église catholique. Il ne s'intéresse pas prioritairement aux victimes. On parle d’actes "contra sextum" (contre le sixième commandement) si l'un d'eux manque à son engagement de célibat.
En réalité, "les délits contra sextum sont très vastes", précise le Père de Boccard, et aussi très variés. Entrent dans cette catégorie aussi bien une relation avec un adulte consentant qu'un viol sur mineur ou un attouchement. Autant d'actes qui, comme l'explique Nicolas de Boccard, n’ont pas tous la même gravité. Et qui donc ne peuvent tous être jugés au regard du cinquième commandement.
Pédocriminalité et dix commandements : quel rapport ?
Se référer aux dix commandements pour juger des affaires de pédocriminalité, cela peut sembler surprenant pour les personnes éloignées de l'Église catholique. Le droit canonique est composé de droit divin et de droit ecclésiastique. Il puise d'une part dans la Bible et le droit énoncé par Dieu, comme les dix commandements. Et d'autre part, dans le droit créé par les juristes.
Pendant longtemps, et dans de très nombreux cas, les évêques n’ont pas appliqué le droit canon pour des actes pédocriminels commis par des prêtres, regrette le Père de Boccard - ce que désormais l’évêque a obligation de faire et de les signaler au Vatican. "Le droit canon s’affaiblit quand on l’utilise pas ou mal", nous dit le juriste que nous avons interrogé. Si ce droit est à la base de notre droit français, "il était à la pointe il y a 500 ans". Aujourd’hui, il y a "un gros problème de formation" parmi les prêtres et les évêques.
Lors de l’assemblée plénière de mars 2023, et l’audition des neuf groupes de travail, le constat a toutefois été relativement partagé qu’il fallait faire avancer le droit canon. D’ailleurs, notre juriste constate "une pression" sur le droit canonique depuis plusieurs endroits du monde. "On assiste à un retour en force du droit canonique. "
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