Qu'est-ce que la guérison ?
En partenariat avec Les Facultés Loyola Paris
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Les prières dites de délivrance, de guérison ou de libération sont des célébrations où le corps est fortement associé à la spiritualité. Il y est question de guérisons spirituelles, mais aussi physiques ou psychologiques. Si beaucoup de chrétiens, et notamment des catholiques, sont attirés par ces formes de prière, Sœur Anne Lécu, religieuse dominicaine, et le jésuite Bruno Saintôt en soulignent les limites et invitent à une certaine prudence. Notamment lorsqu'il y a confusion le psychique et le spirituel.
Chez les chrétiens, dans les Églises pentecôtistes, évangéliques, et dans certaines communautés charismatiques catholiques, il n’est pas rare que soit organisées des prières dites de délivrance, de guérison ou de libération. Dans ces célébrations, où le corps est fortement associé à la spiritualité, il y est question de guérisons spirituelles, physiques ou psychologiques. On peut y entendre des "paroles de connaissances" ou voir des personnes expérimenter des "repos dans l’Esprit". Les émotions tiennent une large place jusqu’à provoquer parfois des larmes, voire des cris. Sans remettre en cause ces formes de prières, Sœur Anne Lécu, religieuse dominicaine, médecin en milieu pénitentiaire, auteure de "L'Ennéagramme n'est ni catho ni casher" (éd. Cerf, 2023), et le Père Bruno Saintôt, jésuite, directeur du département d'éthique biomédicale du Centre Sèvres, attirent notre attention sur certains aspects et invitent à la prudence.
"Que la foi s’exprime à travers des émotions, cela ne me choque pas du tout !" Pour Anne Lécu, rien de plus légitime pour un croyant que de vouloir trouver du réconfort dans la foi quand il est confronté au vieillissement, à la maladie, au handicap ou à la peur de la mort... "Ces questions-là, elles nous habitent tous et il est légitime de vouloir y répondre." Ainsi, se rendre à Lourdes et prier pour la guérison de quelqu’un peut être vu comme "un geste de foi authentique", souligne la religieuse : "À titre-là il est parfaitement noble." Même constat de la part de la religieuse pour la "prière des frères", issue des mouvements charismatiques et qui est de plus en plus pratiquée.
D’ailleurs, "une foi qui ne passerait pas par notre humanité - notre corps, notre psychisme, notre vie spirituelle, toutes les dimensions de notre être - serait un peu suspecte", admet Bruno Saintôt. Ainsi, il ne s’agit pas d’éloigner ses émotions quand on prie. Pour le jésuite, la question est plutôt de savoir comment "les réguler". "Je serais beaucoup plus critique envers ceux qui proposent pour le coup des célébrations dans lesquelles l’émotion est surévaluée, presque provoquée", confie Anne Lécu.
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À l’occasion de séances de guérison, il peut arriver que certains fidèles affirment être miraculeusement guéris, que ce soit au cours de la prière, avant ou après. À ce sujet, Anne Lécu se montre plutôt critique. "Quand on voit la prudence avec laquelle les sanctuaires comme Lourdes ne reconnaissent des guérisons qu’extrêmement rarement dans des circonstances extrêmement sérieuses, avec des experts scientifiques pour vérifier s’il s’agit sans aucun doute de quelque chose que nous ne pouvons pas expliquer, on est surpris quand, dans d’autres groupes, il y a 40 guérisons à la demi-journée !"
Et pourtant les prières de guérison et de délivrance ont un certain succès. "On est à une époque particulière", observe Bruno Saintôt, faite de confiance et de défiance à l’égard de la médecine. "Comme elle ne peut pas tout guérir, il y a des courants, y compris spirituels, y compris dans le catholicisme, qui agissent en discrédit de la modernité, en discrédit de la science." Par ailleurs, nous vivons dans une société où la pression sur l’individu sommé de s’épanouir et de réussir est très forte, estime le jésuite. "Cette injonction-là, dit-il, ça fait peser sur les gens une fatigue d’être soi* et une fatigue de devoir tout réussir par soi-même." Par conséquent, explique Bruno Saintôt, "on lâche tout, on s’en remet à une puissance peut-être magique…"
Quelles que soient les raisons qui poussent à vouloir participer à une séance de guérison, Anne Lécu invite à une certaine vigilance. "Moi j’ai toujours peur qu’on vende du rêve aux gens... Je trouve que ce n’est pas juste pour des gens très malades de leur faire croire qu’en allant à des groupes de prière, ils vont nécessairement être touchés et guérir." Par ailleurs, parler de "délivrance", cela "sous-entendrait qu’il y aurait en moi du diable ou du démoniaque dont il faudrait que je sois délivrée", note Anne Lécu. Il y a un "danger" à parler par exemple du "démon du cancer", convient Bruno Saintôt : "Vous dites ça aux gens, qu’est-ce qui se passe dans leur tête ?" Pour lui, "on doit veiller à remettre de la raison". Et si un fidèle croit à quelque chose de démoniaque, mieux vaut s’adresser à un prêtre exorciste : "Pour ça, il y a un exorciste dans chaque diocèse", rappelle la religieuse.
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"Il y a quand même des paroles de connaissance qui sont véritablement problématiques", prévient Anne Lécu. Dans les sessions de guérison, des "paroles de connaissances" sont prononcées par des personnes ayant reçu un charisme spécifique, dont on croit que c’est un don de l’Esprit saint. "Par exemple, raconte la religieuse et médecin, quelqu’un dit : Tumeur cancéreuse, part d’ici ! comme si c’était finalement quelque chose comme un démon avec des personnifications de la maladie. Je trouve ça très dangereux ! Ce n’est pas ce que dit Jésus dans l’évangile, vraiment !" De même, "quand il est dit : J’ai connaissance que quelqu’un est guéri de son insuffisance rénale aiguë, je trouve que c’est dangereux parce que des gens peuvent arrêter de se soigner en ayant foi dans cette parole et c’est dangereux".
Nous ne savons plus aujourd’hui ce qui relève du psychisme et qui ce qui relève du spirituel. On a tendance à mélanger les genres et à ne plus savoir à qui s’adresser
Les sessions psycho-spirituelles sont parfois le lieu d’une "confusion" entre ce qui relève du psychisme et du spirituel note Anne Lécu. La religieuse cite les sessions "Agapèthérapie" qui étaient proposées dans le diocèse du Puy-en-Velay et qui ont fait l’objet en 2017 de profonds changements. "C’était absolument dangereux", se souvient la religieuse, qui précise que "ces groupes de prière existent toujours à Cacouna", au Québec. Des sessions au cours desquelles "on vous fait revenir dans votre petite enfance pour essayer de détecter quels ont été les traumatismes". Cela peut aller jusqu’à proposer aux participants de "revenir" en pensée dans le ventre de leur mère et de "visualiser l’ovule de votre maman et le spermatozoïde de votre papa" et "le moment où ils se rassemblent"... "Là, on voit bien à quel point est dans quelque chose de folie furieuse ! On n’est plus dans la foi chrétienne. On est dans la pensée magique toute-puissante puisque c’est se mettre à la place de Dieu au moment même de la conception." Pour Anne Lécu, ce type de session montre que "nous ne savons plus aujourd’hui quand nous ne sommes pas bien, ce qui relève du psychisme et qui ce qui relève du spirituel. On a tendance à mélanger les genres et à ne plus savoir à qui s’adresser."
Si "l’Église a toujours défendu le lien entre les dimensions de notre être - les dimensions corporelle psychique, spirituelle", rappelle Bruno Saintôt, elle encourage à ne pas confondre ce qui relève de l’accompagnement psychologique ou psychiatrique et de l’accompagnement spirituel. "On peut être malade psychiquement, résume le jésuite, tout en ayant une relation saine à Dieu…" De la même manière, si l’on se réfère au Livre de Ben Sira le Sage, dans la Bible, Dieu a créé la médecine. "La créativité médicale de l’accompagnement, c’est Dieu aussi qui l’a fait", rappelle Bruno Saintôt.
Par ailleurs, "aller dans un groupe de prière pour prier pour des gens malades, ou pour présenter sa vie comme telle au Seigneur telle qu’elle est avec ses limites : je ne vois pas de difficulté à ça", insiste Anne Lécu. Pour aider les paroisses et les communautés à organiser les prières de guérison, le Service national de la pastorale liturgique et sacramentelle (Snpls) de la Conférence des évêques de France, a édité en 2017 le livre "Protection, délivrance, guérison : Célébrations et prières" (éd. Mame / DDB). L’occasion de rappeler que la tradition catholique a "les moyens de proposer des choses adaptées". Ainsi, l'onction des malades pourrait être plus largement proposée, suggère la religieuse dominicaine.
Les œuvres surnaturelles et miraculeuses sont à l’homme de peu d’importance puisqu’elles ne peuvent pas par elles-mêmes servir de moyens pour s’unir à Dieu. Seule la charité unit à Dieu.
Saint Jean de la Croix
S'inspirant de cette phrase de saint Jean de la Croix, Anne Lécu rappelle que "ce qui compte, quelle que soit notre situation, c’est notre capacité à nous décentrer de nous-mêmes, à nous préoccuper des autres, du monde et de Dieu. Nous pouvons supplier que grandisse en nous la foi, l’espérance et la charité. On peut le demander, on doit le demander pour nous-mêmes et pour les autres."
* d’après le livre d’Alain Ehrenberg : "La Fatigue d'être soi - Dépression et société" (éd. Odile Jacob, 1996)
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