On oppose parfois l'image d'un Dieu souffrant chez les chrétiens à celle d'un Dieu tout-puissant chez les Juifs. Qu'en est-il vraiment ? Quelle représentation de Dieu a-t-on dans le judaïsme ?
Il y a, dans le christianisme, une théologie qui s’est beaucoup développée au XXe siècle et qui envisage l'idée d'un Dieu qui se montre fragile, vulnérable. "Ce serait le grand point de rupture entre le judaïsme et le christianisme", explique Julien Darmon. Sociologue des religions et spécialiste des littératures rabbiniques, il est aussi éditeur chez Albin Michel et co-auteur de l'ouvrage "Histoire juive de la France" (2023). Il nous aide à dépasser l'opposition entre "la notion d’un Dieu qui souffre" comme étant "une spécificité chrétienne" et l'idée que "le judaïsme serait au contraire l’image de la toute-puissance divine".
Dieu, en tant que mère, souffre de cet exil existentiel qui caractérise toute notre histoire, nous ne sommes pas seuls à souffrir des horreurs de l’histoire
Julien Darmon distingue l’idée d’un Dieu qui souffre "pour les péchés des hommes" de celle "d’un Dieu qui partage les souffrances de son peuple". Cette dernière est "très présente", dit-il, dans le judaïsme. "Dieu souffre avec son peuple Israël et plus largement avec toute l’humanité."
Pour comprendre quelle est la relation à Dieu dans le judaïsme, il faut revenir à la destruction du Temple de Jérusalem, en l’an 50 de notre ère. Comme le rappelle Julien Darmon, "c’est la rupture majeure dans l’histoire du judaïsme, tout va se jouer autour de ça".
À partir de cet événement s’est développée dans les textes, et notamment dans le Talmud, l’idée que "Dieu comme Père a dû détruire sa maison et, en fait, souffre et se lamente chaque jour d’avoir été contraint de chasser ses enfants de sa maison".
"Shekhina" est le mot hébreu utilisé pour évoquer la présence divine dans le monde. C’est, "en quelque sorte, un aspect féminin du divin", explique Julien Darmon. "Dieu en tant que mère accompagne ses enfants dans l’exil…. Dieu, en tant que mère, souffre de cet exil existentiel qui caractérise toute notre histoire, nous ne sommes pas seuls à souffrir des horreurs de l’histoire, Dieu lui aussi nous accompagne dans ces souffrances-là, il souffre avec nous."
"Le divin est présent en nous, à côté de nous", décrit Julien Darmon. Il rappelle ce verset du Livre de l’Exode : "Ils me feront un sanctuaire et je demeurerai au milieu d’eux", dit Dieu à Moïse (Ex 25, 8). "Le travail extérieur de la construction d’un sanctuaire est fondamentalement un travail de construire un sanctuaire à l’intérieur de nous pour accueillir la présence divine à l’intérieur de notre âme. "
Entrer en relation avec Dieu, dans le judaïsme, cela se fait par des prières codifiées, que l’on récite, mais pas seulement. "On a une obligation de prier trois fois par jour, rappelle Julien Darmon, cette prière-là, elle est codifiée avec des mots précis." Mais la prière de la Amida, par exemple, où l’on se tient debout – qui "est un face-à-face avec Dieu littéralement" – cette prière-là, "ne se fait pas forcément que dans ce cadre des trois prières quotidiennes". "On n’est pas à égalité avec Dieu mais on se tient face à Dieu et on essaie d’engager un dialogue avec lui."
Par ailleurs, "il y a, dans certains groupes mystiques, un encouragement à parler à Dieu à chaque moment de la vie, ajoute Julien Darmon, à pratiquer des moment d'isolement où on se confie à Dieu, où on lui parle de ses problèmes. Et c'est quelque chose qui peut être d'une grande aide."
Comment comprendre les rites, les fêtes qui rythment le calendrier hébraïque ? Comment lire la Bible à la lumière de la tradition juive ? Qu’apporte la lecture du Talmud ou les textes de Maïmonide à un croyant juif... ? Chaque semaine, dans un dialogue avec un fin connaisseur du monde juif, Odile Riffaud nous fait entrer dans la richesse de cette tradition religieuse qui est à la racine du christianisme et de l’islam.
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