La sortie du film de Christine Angot Une famille est l’occasion de souligner la difficulté à maintenir des liens familiaux après un tel drame. Une idée développée également dans une BD Les yeux fermés. Le billet de Stéphanie Gallet dans l’émission Effervescence.
Peut-on passer à autre chose quand on a subi un inceste ? Et quelle place pour la famille dans cette reconstruction ? Un film et une BD sortent ces jours-ci et partagent le même constat de la difficulté pour les proches et pour la victime d'avancer ensemble sur ce chemin.
Christine Angot est l'une des premières à avoir, des 1999, raconter comment son père l'avait violée dès l'âge de 13 ans. C'était il y a 25 ans, une éternité... Depuis l'écrivaine n'a cessé de creuser son sillon littéraire pour tenter de faire reconnaître sa souffrance. Christine Angot est une victime en colère et on n'aime pas les victimes en colère, on les préfère dociles, discrètes, soumises …
Une famille, le premier film de Christine Angot est depuis ce mercredi au cinéma. Christine Angot retourne à Strasbourg là où vivait son père, là où il la violait. Il est mort et elle retourne là-bas pour parler avec sa belle-mère et ses enfants. Elle rentre de force chez eux avec une caméra. Elle veut les confronter à son inceste, elle veut qu'ils l'écoutent, elle espère libérer leur parole.
En vain ... La rencontre est impossible à tout point de vue.
Je n'ai pas encore vu le film de Christine Angot : ceux qui l'ont vu ont été submergés voir choqués par la violence, la manière forte qu’utilise Christine Angot pour imposer sa présence, son sujet.
L'inceste c'est la négation même de l'enfant, c'est aussi la négation même de la famille. Comment un enfant peut-il s'en remettre ? Comment une famille peut-elle s'en remettre ? Peuvent-ils s'en remettre ensemble ?
Cette implosion du cocon familiale après l'inceste. Cette impossibilité à refaire famille, on les découvre également dans une bande dessinée sortie chez Dupuis : Les yeux fermés.
Ici pas de violence dans la narration, pas d'effraction pour approcher la famille. Mais là aussi face à l'impossibilité d'être reconnue dans sa souffrance, on en viendrait presque aux mains. L'histoire de la comédienne Héloïse Martin dont s’inspire la BD Les yeux fermés est pourtant bien différente de celle de Christine Angot.
Violée par un oncle quand elle avait 8 ans, l'héroïne a tout de suite été reconnue, l’agression jugée, l'oncle condamné. Quand commence l'histoire, elle est devenue une jeune comédienne prometteuse. Lui a purgé sa peine, est sorti de prison.
Les grands-parents fêtent leurs noces d'or et tout le monde est invité à la fête.
Oui tout le monde ... Étrange repas de famille où l'on s'imagine que la victime et l'agresseur peuvent se côtoyer sans difficultés, où la victime passe au mieux pour une rabat-joie, au pire pour la responsable de la déliquescence de la cellule familiale.
Il faut tourner la page lui répète-t-on, il a changé, il a promis qu'il ne recommencerait plus. Mais pour elle c'en est trop, et elle va obliger sa famille à faire des choix. De quels côtés veulent-ils être : celui du bourreau ou celui de la victime ?
Cette histoire met en avant l'impossible reconstruction familiale et surtout la difficulté des victimes à être reconnues. C'est une chose de libérer la parole, c'en est une autre d'être véritablement aux côtés des victimes.
Plus de 30 000 personnes ont ainsi témoigné auprès de la CIVISE, l'instance sur l'inceste mais la CIVISE a fait pchit ou plutôt on a organisé le démantelement de cette instance.
Devant cette indifférence politique, on a plus que jamais besoin que les auteurs, les artistes s'emparent de cette question et inventent des formes nouvelles pour raconter la pédocriminalité. Des formes suffisamment puissantes pour interpeller l'opinion, suffisamment subtiles pour ne pas susciter malaise et rejet.
Merci à tous ceux qui s'attellent à cette tâche délicate, Christine Angot, Héloïse Martin et on pense aussi à Neige Sinno et à son Triste tigre, Prix Fémina et Goncourt des lycéens l’automne passé.
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