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Troubles psychiques : un frein à la vie spirituelle ?

Un article rédigé par Anaïs Binghinotto et Melchior Gormand - RCF, le 23 janvier 2025 - Modifié le 23 janvier 2025
Je pense donc j'agisTroubles psychiques : un frein à la vie spirituelle ?

La spiritualité est-elle compatible avec les troubles psychiques ? Les pathologies comme la dépression, l’anxiété, la schizophrénie ou les troubles bipolaires affectent profondément l’état émotionnel et cognitif des individus, ce qui peut aussi altérer le discernement. Cette soif spirituelle peut susciter autant d’espoir dans le processus de soin, que de craintes, de peur par exemple de tomber dans une forme de délire mystique. Entre aide au processus de rétablissement ou aggravation de l’état mental, jusqu’où la spiritualité semble essentielle (ou pas) pour les personnes concernées ? Une émission Je pense donc j’agis présentée par Melchior Gormand.

© Tima Miroshnichenko / Pexels© Tima Miroshnichenko / Pexels

"La spiritualité est un facteur de prévention, de protection et de rétablissement en termes de santé physique et mentale", indique le professeur Jacques Besson, enseignant à la faculté de biologie et de médecine de l’université de Lausanne, et ancien chef du service psychiatrie du Centre hospitalier universitaire vaudois. Bien que cette affirmation soit confirmée par des études, elle est à mesurer.

La foi peut aider des malades à appréhender leur pathologie en donnant un sens à leur vie par exemple, mais dans certains cas, elle peut s’avérer dangereuse. Ludovig Pot en a fait l’expérience. Atteint de schizophrénie, il témoigne "avoir cru parler avec Dieu" qui lui a demandé de sauter par la fenêtre. "Je pensais devenir le nouveau Messie". Alors qu’il était dans un état second, il a écouté cette voix et a échappé de justesse à la mort. Après cet incident, la foi l’a aidé à obtenir une certaine stabilité mentale. Comment concilier vie psychique et vie spirituelle ?

Maladies psychiques et vie spirituelle : une ligne de crête

La "bouffée délirante", c’est ce qu’a vécu Ludovic Pot lors de sa crise psychotique. "J’ai cru parler à des démons", se remémore-t-il. Jacques Besson indique une réelle différence entre deux phénomènes mystiques. Il existe le délire mystique semblable à ce qu’a vécu Ludovic Pot. Le professeur insiste sur un état de toute puissance : "rien ne nous arrête, on peut pas nous contredire et il y a des voix persécutoires qui nous parlent comme un appel au suicide, par exemple", souligne-t-il. Lors d’une bouffée délirante, au-delà de se faire du mal, le patient peut aussi “"devenir agressif avec son entourage", rapporte Jacques Besson. 

J’ai cru parler à des démons.

Ce premier cas est à l’opposé de ce que le professeur appelle l’état mystique. Celui-ci "contribue à la santé car il crée de la cohérence et de la salutogenèse, c'est-à-dire une approche positive de la santé". En effet, lorsqu’une personne est dans cet état, "elle ressent de l'humilité, de la simplicité et de l’écoute". Le professeur ajoute qu’il faut "un diagnostic subtil entre le médecin et l’accompagnant spirituel pour discerner de ce qui est de l’ordre de l’état mystique qui est bienfaisant et du délire mystique qui est de l’ordre de la psychopathologie”

Guillemette de Préval, journaliste à Ombres & Lumière, confirme que la vie spirituelle peut être le fil rouge de la vie de certains patients. Elle raconte le parcours de Bernadette, atteinte d’un trouble bipolaire qui est "passée d’un moment où elle pensait être le Christ à pratiquer une foi beaucoup plus humble aujourd’hui. Elle sentait un excès en elle donc elle s’est donné un cadre dans lequel vivre sa foi". Tout est une question d’équilibre.

La foi peut aider les patients à développer des capacités pour se relever.

La foi peut également aider des personnes qui sont dans une "forme de grande fragilité psychique", rapporte Laurent Lemoine, psychanalyste, prêtre et aumônier à l’hôpital Sainte-Anne. Grâce à la foi et à un traitement médical adapté, les patients peuvent "utiliser leur souffrance pour en faire quelque chose afin d'avoir une vie meilleure. Cela les aide à développer des capacités pour se relever”, soutient-il. Guillemette de Préval témoigne de l’histoire de Gaëlle, atteinte de trouble borderline, qui a réussi à renouer avec la foi même avec une vie cabossée et chahutée, cela lui a donné une lumière d'espérance”. 

La religion encore mal considérée en France par la psychiatrie

"Il faut différencier spiritualité et religion", exprime le professeur Jacques Besson. "La spiritualité est un besoin naturel et universel, c’est une quête de sens qui passe par le triple lien avec soi-même, les autres humains, la nature et l’univers. La religion est une réponse culturelle à ce besoin naturel." En Suisse, selon lui, il est plus simple pour les psychiatres d'accueillir cette question de la spiritualité. 

La spiritualité peut expliquer certaines pathologies. 

"En 1947, la santé a été définie par l'OMS comme un état de bien-être physique, psychique et social, l’URSS ayant refusé d’inscrire le bien-être spirituel à sa suite pour des raisons politiques. Ce mot a été ajouté en 2005". Le professeur livre également le témoignage d’une étude survenue en 2001, où il s’est avéré que "les patients souhaitaient parler de spiritualité avec leur médecin mais que ces derniers ne souhaitaient pas en parler". Il ajoute qu’en 2013, "le diagnostic américain a recommandé de faire l’anamnèse - l'histoire  - culturelle et spirituelle des patients en psychiatrie. Il en conclut que "ce n’est pas un problème de laïcité, c'est un problème de santé". Pour lui, la spiritualité peut expliquer certaines pathologies. 

Dieu ne va pas guérir les grands troubles psychiatriques, il se fait le compagnon sur le chemin.

Les aumôniers ont également un grand rôle à jouer dans cette relation spirituelle. Laurent Lemoine justifie sa fonction auprès des patients en affirmant qu’il "a conscience de ne pas être un soignant. L’action de l'aumônerie peut participer au rétablissement, à la réhabilitation et au mieux-être d’une personne qui a des difficultés psychiques". Il revendique l’importance d’un "dialogue" entre médecins et aumôniers pour accompagner au mieux les patients selon leurs besoins. Les deux approches sont complémentaires pour tendre vers la guérison. Pour Laurent Lemoine, "Dieu ne va pas guérir les grands troubles psychiatriques, il se fait le compagnon sur le chemin, il nous explique ce que l’on ne comprend pas du récit de notre vie"

© RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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