Un mois après les énergies renouvelables, le nucléaire s'invite au Parlement. L'Assemblée nationale étudie en séance, depuis lundi 13 mars, un projet de loi visant à accélérer le déploiement de six nouveaux réacteurs. Si les partisans de l'atome sont majoritaires au Palais Bourbon, un point du texte provoque l'incompréhension, voire l'ire de nombreux députés : par le biais d'un amendement adopté en commission, le gouvernement prévoit la fusion des deux autorités en charge du nucléaire.
Après les retraites, c'est sur le nucléaire que l'exécutif est accusé de manœuvres. A l'issue d'un Conseil de politique nucléaire, le 3 février, un amendement a été ajouté en catimini au projet de loi. Il prévoit la dissolution, à horizon 2024, de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) dans l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). "Un renouveau du nucléaire comme le gouvernement le souhaite va demander énormément de travail d'étude de dossiers par les organismes de sûreté nucléaire que sont l'ASN et l'IRSN", soutient Emmanuelle Galichet, maître de conférences en sciences et technologies au Centre national des arts et métiers (Cnam), et favorable à cette décision gouvernementale.
Selon elle, les nombreux chantiers du nucléaire français la justifient. "La maintenance régulière du parc, les augmentations de durée de vie des centrales", mais aussi "le projet France 2030 du gouvernement", lequel doit consacrer un milliard d'euros au développement des nouvelles technologies nucléaires.
La chercheuse approuve une "réorganisation" qui permettra à l'ASN de "travailler correctement à tous ces nouveaux sujets" ainsi qu'une "fluidification dans la relation, ce qui ne veut pas dire une simplification et un manque de surveillance". En 1998 pourtant, un rapport du député Jean-Yves Le Déaut alertait sur les risques que présenterait "un lien organique trop fort entre l'autorité de sûreté et le pôle expertise", qui "reviendrait à limiter la capacité d'expression de ce pôle d'expertise".
Opposés à l'ensemble du texte, les groupes EELV et LFI attirent l'attention sur les fissures repérées il y a quelques jours par des agents d'EDF sur des conduites d'urgence de la centrale de Penly (Seine-Maritime). "Il y a peut-être une problématique sur le fait qu'ils ne fonctionnent pas assez souvent", estime Emmanuelle Galichet. "Aussi bien l'exploitant que l'autorité de sûreté, tout le monde surveille correctement l'état des centrales nucléaires", rassure-t-elle tout en concédant "qu'on ne sait pas encore tous les tenants et aboutissants de cette histoire".
"Cela fait une vingtaine d'années que la filière nucléaire est montrée du doigt, qu'on essaie de l'affaiblir, qu'on essaie de diminuer la part du nucléaire et donc, que moins de jeunes ont été embauchés", regrette-t-elle. "Il y a encore du monde, mais il en faut plus si, en plus du parc actuel, on veut construire des EPR 2 (réacteurs dernière génération, ndlr), trouver de nouvelles solutions et allonger la durée de vie des centrales". Dans cet esprit, la majorité présidentielle souhaite le prolongement de la durée d'exploitation des réacteurs au-delà de 60 ans.
En 2011, la catastrophe de Fukushima, au Japon, avait refroidi les ardeurs nucléaires des pays européens. Douze ans plus tard, le changement de braquet est manifeste. "Un Fukushima en France, c'est impossible puisque Fukushima, c'était un réacteur à eau bouillante", explique d'ailleurs Emmanuelle Galichet. "En France, on a un parc de réacteurs à eau pressurisée qui est le plus sûr qui soit", d'autant plus que "le processus à l'intérieur, au niveau de la fission et de la réaction en chaîne, est absolument maîtrisé, avec un enrichissement très faible qui permet de ne pas aller vers un accident".
La réalité climatique a eu raison des fantômes de Fukushima. "Il y a une prise de conscience du réchauffement climatique", se félicite la docteur en physique nucléaire. "On n'a pas dix millions de solutions. Il faut décarboner, et pour décarboner il faut électrifier les usages", enjoint-elle. "Il y a une vraie évolution non seulement des pouvoirs publics, mais aussi de l'opinion et même de certains courants écologistes".
En octobre 2022, Greta Thunberg, l'égérie suédoise du climat, se disait favorable au nucléaire. "Si elles (les centrales nucléaires allemandes, ndlr) sont en activité, je pense que ce serait une erreur de les arrêter et de se tourner vers le charbon", déclarait-elle. "Il y a une vraie évolution non seulement des pouvoirs publics, mais aussi de l'opinion et même de certains courants écologistes", abonde Emmanuelle Galichet. EELV, quant à lui, reste pour l'instant sur ses positions.
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