Dans un contexte global de guerre et de crise énergétique, la question du nucléaire est plus que jamais d’actualité. Le sujet fait débat, au sein de la communauté scientifique comme de la société. Reconnue pour son parc nucléaire, la France prévoit la construction de six nouveaux EPR (European Pressurized Reactor) d’ici à 2035. Une décision ouverte à la discussion, puisque la Commission nationale du débat public lance dès le 27 octobre une consultation citoyenne. L’occasion de nous pencher sur les enjeux du nucléaire et ses paradoxes.
La part du nucléaire sur notre territoire ne peut pas être négligée. L’énergie représente 72% de la consommation d’électricité, et 40% de l’énergie totale consommée. Claude Mandil, ingénieur et ancien directeur de l’Agence internationale de l’énergie, explique ces chiffres par le coût avantageux du nucléaire : "La solution la moins coûteuse pour la protection de l’environnement est le maintien du nucléaire existant." Des propos nuancés par un constat : celui de l’état du parc actuel. Des réacteurs, anciens ou modernes, sont à l’arrêt et rencontrent des problèmes de corrosion, ce qui implique d’importants coûts en termes d’entretien. Et Hervé Kempf, directeur et rédacteur en chef de Reporterre, d’ajouter que "le coût sur l’énergie marine et éolienne a baissé de 80% entre 2009 et 2020, contre une augmentation de 36% sur les prix du nucléaire".
Le nucléaire présente pourtant certains risques. Au regard de la situation actuelle à la centrale de Zaporijia en Ukraine, la question de la protection des centrales est exacerbée. Le danger des matières radioactives est lui aussi pointé du doigt, et l’avenir des déchets nucléaires reste incertain. Le problème doit être abordé avec le spectre des générations futures : il s’agit de penser à une échelle plus éloignée que 2035 ou 2050. Selon l’Andra, (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), le volume de ces déchets s’élève à 1 670 000 mètres cubes.
Soulignons aussi que les mesures s’inscrivent dans un contexte européen. Pour Hervé Kempf, le mauvais état du parc nucléaire français l’a privé d’autonomie, notamment cet été. Il a fallu "importer beaucoup d’électricité d’Allemagne". Si Claude Mandil estime qu’il "faut en France beaucoup de nucléaire", il ne faut selon lui pas "mettre tous ses œufs dans le même panier". Pour lui, c’est à l’échelle européenne qu’il faut voir comment les choses se passent : "Dès qu’on ajoute du nucléaire en France, on réduit la consommation d’énergie fossile en Europe." Notons aussi que l’UE a accordé le label énergie verte au nucléaire.
Si les invités s’accordent à dire que le défi majeur est de baisser la consommation d’énergie et que la sobriété est essentielle, les moyens envisagés divergent. Les enjeux sont nombreux pour les 25 années à venir, et le nucléaire semble à certains égards être une réponse pertinente. La décarbonation est un travail de réduction de l’empreinte carbone. Justement, le nucléaire est une énergie décarbonée. Élisabeth Borne a présenté le jeudi 6 octobre 2022 son plan pour l’avenir de l’énergie, qui se base sur le triptyque sobriété / énergies renouvelables / nucléaire, équation adaptée pour un monde décarboné.
Myrto Tripathi, présidente du collectif Voix du nucléaire, perçoit cette énergie comme une voie "absolument nécessaire". Quand Éric Vidalenc, spécialiste des questions énergétiques et membre du comité éthique et société de l’Andra, souligne que 80% du mix énergétique mondial actuel est encore fait d’énergies fossiles, Myrto Tripathi rétorque qu’il ne faut pas "enlever intégralement ces 80%, mais les remplacer par des énergies bas carbone". Au regard du modèle allemand, Hervé Kempf garde quant à lui espoir : "Il y a des transitions à l'œuvre. En 15 ans, nos voisins allemands sont passés de 8% à 50% d’énergies renouvelables." La France devrait s’en inspirer sous la menace de l’urgence écologique.
Évidemment, ce débat soulève des questions sociétales. La haute consommation d’eau pour le refroidissement des réacteurs cet été a attiré l’attention des Français. D’autant qu’une grande part de cette eau est rejetée dans nos écosystèmes. Sans être contaminée, sa température, plus élevée, les affecte. Hervé Kempf cite Laudato Si' : "Certains choix qui paraissent purement instrumentaux sont en réalité des choix sur le type de vie sociale que l’on veut développer." Pour apprendre à vivre sobrement, il faut donc adapter les énergies.
Pourtant, le nucléaire semble selon Myrto Tripathi répondre à des défis majeurs : celui du changement climatique, celui de la perte rapide de la biodiversité et de la dégradation des écosystèmes. Sa stabilité et son bas prix le rendent accessible aux Français, pour leur "bien être et leur dignité". Pour elle, "l’éolien et le solaire sont utiles pour la décarbonation mais comportent des failles en matière de sécurité". Les Français manquent parfois de certaines clés pour décrypter les dessous de l’énergie nucléaire et comprendre ce qu’elle implique. L’objectif est de mettre "autant d’énergie intellectuelle à discuter des moyens de réduction de la consommation d’énergie", souligne la présidente de Voix du nucléaire.
Pour Éric Vidalenc, il faut se demander "que fait le nucléaire aujourd’hui? et demain ? Le parc actuel se réduit comme peau de chagrin". Pour lui, la question du nucléaire doit être abordée sur la base de la sécurité énergétique, de la durabilité environnementale et de la justice sociale. Claude Mandil ajoute à cette liste l’enjeu du coût : "La production d’énergie doit se faire au coût le plus faible." Le nucléaire du futur doit donc maîtriser ses coûts. Pour Myrto Tripathi, la caractéristique du nucléaire français est que "plus de 95% de la chaîne logistique est dans l'Hexagone". Et il garantit, selon elle, la stabilité du parc européen.
Il s’agit aussi de regarder à quoi les énergies se substituent : "Toutes les technologies ne permettent pas de faire les mêmes choix et de construire les mêmes sociétés derrière", souligne Éric Vidalenc. Il estime que les réacteurs vieillissants ont besoin d’une "grande révision" : "Une fois que cela sera fait, il appartiendra à l’autorité de sûreté de dire l’espérance de vie de ces centrales." Alors entre énergie de la solidarité, du passé, de l’avenir, ou système idéal pour une société économe et écologique, le nucléaire reste un sujet à double tranchant. Claude Mandil conclut ainsi : "S’il est évident que le nucléaire est une énergie de l’avenir, le problème est de savoir si la France et l’Europe font partie de cet avenir."
Pour aller plus loin : les intervenants ont écrit des livres autour de la question du nucléaire. En 2022, Hervé Kempf publie aux éditions du Seuil, dans la collection Libelle, "Le nucléaire n'est pas bon pour le climat". Myrto Tripathi est quant à elle auteure de “La bataille pour le climat”, paru en 2020 aux éditions Genèse.
Pour participer au débat public portant sur le projet de construction de six nouveaux réacteurs nucléaires de type "EPR2", rendez-vous sur le site debatpublic.fr. Ce débat s’étend sur quatre mois et est inédit, dans la mesure où c'est la première fois que le public est ainsi associé en France aux débats sur les choix énergétiques.
Cette émission interactive de deux heures présentée par Melchior Gormand est une invitation à la réflexion et à l’action. Une heure pour réfléchir et prendre du recul sur l’actualité avec des invités interviewés par Véronique Alzieu, Pauline de Torsiac, Stéphanie Gallet, Madeleine Vatel et Vincent Belotti. Une heure pour agir, avec les témoignages d’acteurs de terrain pour se mettre en mouvement et s’engager dans la construction du monde de demain.
Intervenez en direct au 04 72 38 20 23, dans le groupe Facebook Je pense donc j'agis ou écrivez à direct@rcf.fr
Suivez l’actualité nationale et régionale chaque jour
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !