Longtemps plébiscitée par les classes populaires, la gauche n'y fait plus recette. Ce qui constituait le cœur de son électorat se tourne désormais majoritairement vers le Rassemblement national, laissant la place vacante à des militants de substitution.
"Qu'a-t-il bien pu se passer ? Comment en est-on arrivé là ?", fait mine de s'interroger l'essayiste Paul Melun. Ancien membre de l'UNEF, syndicat étudiant de gauche, le chroniqueur regrette ce qu'est devenue sa maison politique. "Je crois que la gauche n'a pas su comprendre la désindustrialisation, tente-t-il d'expliquer. Quand les classes laborieuses ouvrières traditionnelles, le prolétariat tel que le voyait Marx, a commencé à s'éroder, la gauche a tenté de se trouver un électorat de substitution : les jeunes gens des milieux favorisés dans les grandes villes, ceux qu'aujourd'hui on appelle les bobos", analyse-t-il, alors qu'il vient de sortir un livre dans lequel il dresse une généalogie de la gauche pour en saisir l'évolution*.
Jean-Luc Mélenchon, en érigeant l'islam en religion des opprimés, joue les Zola de bar-tabac
Les centres-villes donc, mais aussi les banlieues. Tel est l'attelage de substitution pour la gauche. "Jean-Luc Mélenchon, en érigeant l'islam en religion des opprimés, joue les Zola de bar-tabac, ironise Paul Melun. "Évidemment, il faut aller chercher les jeunes gens issus de l'immigration et qui ne se sentiraient pas Français en leur disant, venez avec nous, vous êtes Français, assimilez-vous à ce grand commun qu'est la France. Au lieu de cela, il parle de la police qui tue et autres fadaises", regrette-t-il.
Tout bien pesé, il semble a posteriori que la droite et la gauche populaires d'antan partageaient des valeurs communes, et en voie de disparition. "Le point commun entre le gaullisme social de droite et la gauche populaire, c'était de penser plus grand que soi, remarque Paul Melun. De se dire finalement, je ne suis pas qu'un individu, je ne suis pas qu'un homo œconomicus comme disent des théoriciens de l'économie contemporaine et les exégètes d'Adam Smith. Je suis au-dessus de ça, je me soucie de plus grand, de mon pays, de ma patrie. Je me soucie de spiritualité, d'un collectif qui promeut des idées plus grandes que moi". Retrouver le sens de la grandeur qui porte et fédère, voilà son conseil pour la gauche dont il se réclame, mais dont les mutations modernes l'inquiètent.
Dans une époque marquée par l'effondrement des récits politiques et religieux, le catholicisme social a du plomb dans l'aile. Autant que son affiliation traditionnelle à la gauche, qui "a rompu avec son électorat catholique", déplore Paul Melun. Et ce "en embrassant - c'est ce qui est intéressant - un certain nombre de thèses promues par les déconstructeurs et par la mondialisation, qui ont fait du catholicisme en Europe occidentale une forme de d'homme à abattre", estime-t-il.
Si l'affaissement des matrices syndicale et religieuse n'est pas le fait de la gauche, elle l'a encouragé, selon l'essayiste. "Je fais un lien entre ce que j'appelle le militantisme de la paroisse - mes amis chrétiens me pardonneront cette facétie - qui militait pour plus grand que soi, pour les autres, et le militantisme syndical", détaille-t-il. Avec un sens aigu de la formule, il martèle que "la mondialisation a tout à la fois voulu tuer le prêtre en col romain et le leader syndical à moustache. Ils étaient les deux faces d'une même pièce : la France".
La mondialisation a tout à la fois voulu tuer le prêtre en col romain et le leader syndical à moustache. Ils étaient les deux faces d'une même pièce : la France
Paul Melun se dit de gauche. Fièrement. Absolument. Mais la NUPES actuelle souscrirait-elle au discours de Paul Melun ? "Dans le logiciel de ces gens-là, si vous n'êtes pas pour les pistes cyclables non genrées et pour la permaculture dans des bacs à fleurs avec des mauvaises herbes, vous êtes de droite", raille-t-il, désabusé par cette gauche contemporaine, "déracinée, post-nationale, post-spirituelle". Ces gens-là, une qualification qui dit tout de l'abîme séparant désormais deux gauches qui ne s'entendent plus. Et dont on peine, disons-le, à se figurer la réconciliation.
*Paul Melun, Libérer la gauche - La confession d'un enfant du peuple, Editions du Cerf, 2023, 20 euros.
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