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Bernard Cazeneuve et François Mauriac, un compagnonnage inattendu

Un article rédigé par Frédéric Mounier, Odile Riffaud - RCF, le 15 mai 2023 - Modifié le 17 juillet 2023
Les Racines du présentComment François Mauriac, écrivain catholique, inspire Bernard Cazeneuve

C'est un compagnonnage pour le moins inattendu. Bernard Cazeneuve se dévoile en un fin connaisseur et grand admirateur de la vie et de l'œuvre de François Mauriac, célèbre écrivain catholique français du XXe siècle. Qu'est-ce qui le touche chez Mauriac ? Une obsession pour la justesse et la vérité, une conception universaliste du message du Christ et un regard acéré sur les hommes politiques de son temps... 

Pour Bernard Cazeneuve, François Mauriac est "un génie littéraire absolu" et "un personnage absolument hors du commun" (Photo le 17/03/2023 ©Hugo Azmani / Hans Lucas)Pour Bernard Cazeneuve, François Mauriac est "un génie littéraire absolu" et "un personnage absolument hors du commun" (Photo le 17/03/2023 ©Hugo Azmani / Hans Lucas)

Le 9 mars dernier à Lyon, Bernard Cazeneuve a annoncé la création de La Convention, mouvement politique destiné à fédérer les déçus de la Nupes. L’ancien premier ministre se présente donc aujourd’hui comme celui qui, à gauche, appelle au maintien des institutions alors que nous assistons à une montée en puissance d’une gauche insurrectionnelle, révolutionnaire. Dans 'Ma vie avec Mauriac' (éd. Gallimard) il dévoile un compagnonnage inattendu. Depuis l'enfance il admire profondément l'œuvre de François Mauriac, qu'il connaît sur le bout des doigts. Une passion qui s'est muée en admiration pour l'auteur du 'Bloc-notes' et son regard acéré sur les hommes politiques de son temps.

 

Mauriac, un regard acéré sur la vie politique

 

Ce qu'il aime chez Mauriac c'est d'abord 'sa pointe, c’est-à-dire la férocité du regard porté sur le personnel politique de la IVe République', déclare Bernard Cazeneuve non sans faire allusion au contexte politique actuel. On pense au fameux 'Bloc-notes' de Mauriac, paru notamment dans Le Figaro ou L'Express entre 1952 et 1970. Des éditoriaux souvent féroces et volontiers polémiques (et dont l’intégralité a été publiée en deux tomes aux éditions Bouquins, en 2020) auxquels on a reproché 'une extrême méchanceté dans la manière dont il décrivait les individus qui peuplaient le bestiaire de la IVe République'. Mais ce que l’ancien ministre admire, c’est 'un style littéraire au service d’une acuité du regard, d’une capacité d’analyse'. Il salue 'un génie littéraire absolu' et 'un personnage absolument hors du commun'.

 

Mauriac, c'est 'l'obsession de la juste position, c’est-à-dire de la vérité'. Quitte à s’affranchir de son milieu d’origine. 'Tout ce qu’il décide de défendre comme juste, il le défend en s’affranchissant de son propre univers et de son propre milieu', admire Bernard Cazeneuve. 'Je considère qu’il n’y a pas d’engagement politique qui vaille qui ne s’articule avec une idée très élevée de la liberté. Et je pense qu’il n’y a pas d’engagement politique qui vaille qui ne s’articule à une position très profondément ancrée de l’altérité.'

 

 

→ À LIRE : Mauriac, Michelet, de Gaulle : ils croyaient à la vocation de la France

 

 

Mauriac et Cazeneuve, un compagnonnage inattendu

 

Toutefois ce n’est pas avec le 'Bloc-notes' que Bernard Cazeneuve a découvert Mauriac. C’est en lisant, à l’âge de neuf ans, 'Le Nœud de vipères' (1932). Un roman à l’atmosphère sombre et tragique qui a pourtant séduit ce fils de pieds-noirs né en 1963 à Senlis (Oise). Cette découverte qui fut 'fondatrice à plusieurs titres'. 'À neuf ans, on ne comprend pas tout du 'Nœud de vipères', admet Bernard Cazeneuve, mais on comprend que les relations entre les personnages ont une dimension de tragédie, une profondeur d’âme exceptionnelle.'

 

Ce fils d’instituteur solitaire qui, à l’école subissait 'les quolibets' de ses camarades - il ne dit pas 'harcèlement' - était fasciné par le monde des adultes. 'Mon enfance était solitaire et le monde me semblait hostile', confie-t-il. Pour fuir une ambiance familiale marquée par une 'nostalgie litanique' de ses parents et grands-parents déracinés, nostalgie qui 'l’agaçait', le jeune Bernard Cazeneuve préférait le rêve, la lecture. 'Je n’ai jamais vraiment connu l’enfance, j’en suis sorti très tôt', dit-il. Sans doute est-ce pour cela qu’il voulait d’abord intituler son livre 'L’éternel enfant'...

 

 

Aucun des personnages de Mauriac n’est réduit à ses fautes… Mais ce n’est pas très chrétien c’est aussi très à gauche !

 

 

Séduit par l’universalité du Christ

 

À l’inverse de Mauriac, Bernard Cazeneuve se dit agnostique. L'écrivain bordelais, très tôt orphelin de père, a grandi, lui, auprès d’une mère très catholique. Elle entretenait 'une conception espagnole de la religion', disait d’elle François Mauriac. C’est-à-dire 'une conception doloriste, commente Bernard Cazeneuve, superstitieuse, accordant beaucoup d’importance à la liturgie conservatrice pour ne pas dire totalement traditionnaliste'.

 

Ce qui séduit Bernard Cazeneuve chez Mauriac, c’est sa conception universaliste du message du Christ. 'Il y a une dimension d’universalisme chez Mauriac. Ça, ça me touche énormément. Moi qui suis un enfant des Lumières, du rationalisme, qui reprend à son compte politiquement le message de la Révolution française - pas les excès, mais le message de la Révolution française - je suis pour ma part très universaliste.' Autre élément qu’apprécie Bernard Cazeneuve : 'Aucun des personnages de Mauriac n’est réduit à ses fautes… Mais ce n’est pas très chrétien c’est aussi très à gauche !' Ainsi l’ancien ministre rappelle-t-il 'qu’une grande partie de [son] engagement dans la gauche humaniste résulte du fait que chaque individu qui commet une faute doit pouvoir avoir une chance de retrouver sa place dans la société.' Et quand on lui rappelle qu'il conclut son livre sur la 'promesse d’une possible grâce', Bernard Cazeneuve répond avec humour : 'On est loin de la cancel culture !'

 

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