"En crise existentielle, l'humanité détruit la nature." Le chef de l'ONU, António Guterres, n'a pas mâché ses mots hier devant les chefs d'État et ministres réunis à Cali, en Colombie, pour la COP16. Cette COP ne porte pas sur le réchauffement climatique mais bien sur la biodiversité, c'est-à-dire la diversité des espèces vivant sur notre planète. Une diversité menacée, puisque nous assistons actuellement à l'une des grandes extinctions de masse de l'histoire de la Terre, et les parties ont jusqu'à vendredi pour trouver un accord. Décryptage des enjeux de la COP16 avec Philippe Grandcolas, directeur de recherche au CNRS.
Depuis le 21 octobre, 196 pays tentent d’harmoniser leurs positions pour atteindre d'ici 2030 les objectifs fixés il y a deux ans dans l’accord de Kunming-Montréal : placer 30 % de la planète sous protection minimale, réduire de moitié les risques liés aux pesticides et à l’introduction d’espèces invasives, et mobiliser 200 milliards de dollars par an pour préserver la nature.
À trois jours de la clôture de la COP16, les négociations sont encore marquées par des rivalités entre pays riches et pays en développement, principalement sur les questions de financement. "La COP16 est pourtant primordiale", commente Philippe Grandcolas. "Le traité de la biodiversité concerne l'agriculture, l’alimentation, et la régulation climatique, notamment par la photosynthèse." Un grand nombre de négociateurs, issus de plus de 190 États et de délégations gouvernementales, participent aux discussions, précise le directeur de recherche. Ces délégations incluent également des scientifiques, chargés d’informer les négociateurs sur des aspects techniques cruciaux.
Le principal point de blocage est le financement nécessaire pour mettre en œuvre ces politiques
Les négociations se révèlent compliquées en raison des stratégies et des intérêts divergents entre les pays participants. "Le principal point de blocage est le financement nécessaire pour mettre en œuvre ces politiques." La France elle-même peine à financer ses parcs nationaux, souligne Philippe Grandcolas, et la situation est similaire dans les pays du Sud, qui demandent aux pays du Nord de les aider à mettre en place des politiques de protection. "Nous sommes encore très loin des sommes requises", explique le chercheur du CNRS.
En référence aux cinq grandes crises des temps géologiques, la crise de la biodiversité actuelle est souvent qualifiée de "sixième extinction", explique Philippe Grandcolas. Cette crise est bien plus rapide que les précédentes, avec des taux d'extinction en moyenne mille fois plus élevés. "La crise qui a causé la disparition des dinosaures a duré environ un million d'années." Aujourd'hui, nous ressentons déjà de plein fouet les effets de cette crise, ajoute le chercheur : "Les conséquences se font sentir dans l’augmentation des phénomènes climatiques extrêmes, exacerbant inondations et sécheresses."
Nous avons besoin d’aires sanctuarisées où la biodiversité peut prospérer pour notre propre survie.
Pour répondre à cette crise, il est essentiel de respecter les engagements pris lors de la COP15, qui visaient à protéger 30 % des terres, insiste le chercheur du CNRS. "Cela signifie protéger les parcs nationaux et les réserves naturelles. Nous avons besoin d’aires sanctuarisées où la biodiversité peut prospérer pour notre propre survie." Selon Philippe Grandcolas, les sociétés humaines sont aujourd'hui dans une surconsommation et une sur-pollution constantes, générant une "dette de pollution."
En décembre, l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) publiera une grande évaluation scientifique sur les changements transformateurs pour les sociétés, explique Philippe Grandcolas. "L’enjeu est d’adapter nos comportements plutôt que de renoncer. Au lieu de simplement réglementer les pesticides et les aires naturelles, il est nécessaire de modifier en profondeur nos modes de vie." En France, il est crucial d’améliorer la production locale de fruits et légumes en circuits courts, selon le chercheur. "Ce n'est pas un renoncement, mais un bénéfice mutuel, un agrément." Cependant, ces mesures se heurtent souvent aux intérêts des filières agricoles industrielles, déplore Philippe Grandcolas.
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