Dans l’Église américaine, le port d’armes “s’inscrit dans la question globale de la guerre culturelle qui agite les États-Unis depuis 30 ans”

François Mabille est directeur de l'Observatoire géopolitique du religieux à l'IRIS et chercheur au CNRS. 

Dans quelle mesure l’Église américaine se positionne autour du débat sur le port d’armes aux États-Unis ? 

François Mabille : Elle se positionne de très longue date. C'est-à-dire qu'on pourrait revenir aux trente dernières années et trouver à date régulière, et très souvent d'ailleurs, lorsqu'il y a des tragédies liées à l'utilisation des armes à feu, des déclarations de l'épiscopat américain. Il y a une déclaration qui a été importante en 1994, une autre en 2002. L'une des dernières, en 2016, était également importante dans la mesure où elle détaillait un ensemble de mesures que l'Épiscopat américain proposait au gouvernement américain pour tenter de réduire la violence liée à l'usage des armes à feu. 

Quelle est la part de la religion dans les débats politiques et sociétaux sur le port d’armes ? L'Église prend-elle aussi part aux discussions ? 

C'est plus qu'une participation. Il y a même des auditions des évêques américains au Sénat. Il y a un certain nombre de mouvements catholiques qui se sont saisis de cette question et qui font campagne contre le commerce et l'usage des armes à feu. C'est un sujet qui est récurrent et véritablement traité par l'épiscopat américain, traité à travers ces différentes commissions. L'épiscopat américain, il est comme l'épiscopat français, il est structuré en un certain nombre de commissions, de groupes de travail. Il y a différentes commissions qui se saisissent sous des angles différents de cette question.

La religion est-elle véritablement un argument pour défendre la non-violence et dire non au port d’armes ?

En milieu catholique, oui, bien sûr. En l'occurrence, vous avez deux grandes thématiques. La première thématique, c'est celle de lutter contre la culture de la violence. C'est ce qu'on retrouve dans les premières déclarations que je mentionnais en 1994. Et puis, il y a un deuxième axe qui est de dire : nous, catholiques, nous sommes pour une culture de la vie du début jusqu'à la fin de la vie. Dans ces cas-là, la dénonciation de l'usage des armes à feu s'intègre dans un ensemble plus global de défense de la vie sous toutes ses formes. Ce qui explique que ce soient différentes commissions, celles que j'évoquais, aussi bien celle de la vie de famille, la commission Pro-Life, la commission sur l'éducation, qui se saisissent de cette question.

À l’inverse, dans certains milieux chrétiens, le port d’armes est assimilé à un droit divin, en vertu de l’amendement de la Constitution américaine ? 

Cela existe effectivement dans les milieux protestants et dans certains milieux catholiques. En fait, on peut presque dire que cette thématique s'inscrit dans la question plus globale de la guerre culturelle qui agite les États-Unis depuis maintenant une trentaine d'années. Dans cette guerre culturelle, vous avez un certain nombre de positionnements qui vont jusqu'à un positionnement concernant la démocratie, l'État, l'État de droit en l'occurrence, et les régimes politiques. Dans cette perspective, vous avez un certain nombre de responsables religieux qui essaient d'articuler ou qui établissent une hiérarchie entre l'amendement que vous mentionnez [2e amendement de la Constitution américaine, NDLR] et puis un certain nombre de préceptes religieux. Et là, en l'occurrence, qui estime que la défense de la liberté individuelle et de la vie passe par un certain nombre de mesures, et notamment celle de l'utilisation des armes à feu.