Deux ans après l’invasion russe en Ukraine, le volet informationnel apparaît essentiel pour venir à bout d’une guerre qui s’enlise. La Russie de Vladimir Poutine livre, avec force, une bataille du récit pour conquérir une opinion publique parfois mal informée. Face à cette vague des réseaux d’influence russe, l’Ukraine et l’Occident tentent une riposte.
Deux ans que l’Ukraine compte ses morts et vit au rythme des offensives, contre-offensives et des combats à sa frontière. La stratégie de blitzkrieg du Kremlin souhaitée dans les premières semaines se révèle être un échec. Très vite, les troupes russes sont repoussées à la frontière de Kiev. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’impose comme un chef de guerre, et gagne la bataille de l’opinion publique. Il reçoit de nombreux soutiens - financiers et militaires - des pays étrangers. Cependant, Moscou n’en démord pas et étend ses réseaux d’influence, déstabilisant l’ordre mondial. La guerre militaire se substitue en bataille du récit.
Les observateurs l’appellent “la guerre hybride”. Avec le développement des réseaux numériques, la situation du front est “suivie en direct”, tance Maxime Audinet, chercheur à l’IRSEM, spécialiste de la Russie. “Ce n’est pas un phénomène nouveau”, tempère-t-il. “Utiliser des instruments de propagande de guerre a toujours existé parallèlement à la guerre”. Cependant, les conflits contemporains et la guerre de l’information menée contre l’Ukraine sont démultipliés par “toute l'infrastructure numérique” qui “produisent un flux informationnel gigantesque", rendue possible grâce à “l’usage démesuré de ces types d’outils”.
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Ce n’est de causer du tort à personne de dire qu’une guerre se gagne grâce au soutien d’une opinion publique. Vladimir Poutine l’a bien compris et compte en tirer profit. “Lorsque vous menez une guerre, chaque dirigeant cherche à la justifier”. En l'occurrence, en Ukraine, “sur le plan éthique, ce n’est pas une guerre juste puisqu’il s'agit d’une guerre d’invasion menée par un État agresseur, la Russie, contre un État agressé, l’Ukraine”, rappelle Maxime Audinet. “Il y a un enjeu pour le pouvoir de légitimer cette invasion à la fois vis-à-vis de la population russe mais également vis-à-vis des populations étrangères”.
Il n’a pas fallu attendre l’invasion russe en Ukraine pour découvrir que la Russie se montrait particulièrement remuante en matière d’ingérences numériques étrangères. De l’affaire des Macron Leaks en France, à leur rôle dans l’élection présidentielle américaine de 2016, les réseaux d’influence russe ont déjà prouvé leur efficacité.
David Colon, auteur de “La guerre de l’information” justifie cette puissance de frappe russe : “au pouvoir, il y a Vladimir Poutine, qui a été formé au KGB [service de contre-espionnage russe, NDLR] à la désinformation lorsqu’il était en poste à Dresde [ville allemande, ndlr]”. À cela s’ajoute “la doctrine et le savoir-faire du Kremlin”, prouvé une nouvelle fois mi-février 2023, lorsque Paris découvrait le réseau Portal Kombat, un réseau coordonné et structuré diffusant des informations pro-Kremlin.
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À la différence des pays occidentaux, Moscou peut aussi s’appuyer sur une multiplicité d’acteurs publics et privés. “Il y a les médias d’États comme RT ou Sputnik mais aussi des unités des services de renseignement russes, beaucoup plus actives depuis février 2022”, explique Maxime Audinet, auteur de "Russia Today, "un média d'influence au service de l’État russe”, publié aux éditions de l'INA.
Les acteurs non-officiels jouent aussi un rôle dans la diffusion de fausses informations russes. “Le meilleur exemple, c’est Prigogine. Ce sont des hommes d’affaires qui vont investir leur propre capital financier, pour mener des opérations d’influence qui vont à la fois viser à légitimer les positions de l'État russe, mais aussi à servir leurs propres intérêts”.
Maxime Audinet cible enfin une troisième catégorie. “Ce sont des acteurs tiers, étrangers, qui vont, pour des raisons lucratives, militantes, idéologiques, vont choisir de coopérer avec des acteurs russes en participant à la propagation de leur récit. Ça peut être des journalistes ou des responsables politiques”, liste le chercheur.
Face à la vague informationnelle russe, l’Occident ne reste plus de marbre et amorce une riposte. Des pays européens, notamment baltes, sont, culturellement, plus armés pour se défendre. L’Estonie, la Lettonie, ou encore la Lituanie, conséquence de leur histoire commune avec l’ex-URSS, sont souvent la cible d’attaques russes sur le terrain informationnel et les gouvernements respectifs ont rapidement mis en place des politiques court et long-terme.
En mars 2022, l’Union européenne prend ses responsabilités et suspend la diffusion des médias d’État russes Russia Today et Sputnik. Ils “ne pourront plus diffuser leurs mensonges pour justifier la guerre de Poutine”, se justifie la présidente de la Commission Ursula Von Der Leyen.
La réponse française est plus timide, mais existe. Le vendredi 23 février, la DGSI, sécurité intérieure française, appelait les forces de l'ordre à la vigilance sur "les ingérences russes". Plus tôt, en juillet 2021, quelques mois avant le début de l'invasion, Paris créé Viginum, un service technique et opérationnel de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères. L’organisme a commencé à prouver son efficacité en dévoilant mi-février le réseau russe Portal Kombat. Ce sont pourtant des politiques publiques qu’il faut mener pour Maxime Audinet. “Les politiques courts termes visent à répondre immédiatement à un certain nombre d’opérations informationnelles. Elles les détectent, et les debunkent”, admet le chercheur.
Il assure cependant que c’est une politique long terme qu’il faut désormais mener. Le gouvernement doit, par exemple, travailler sur “l’éducation aux médias. La désinformation et les manipulations informationnelles ne sont pas décorrelées du corps social et des enjeux, des tensions qui sont inhérents à nos sociétés”, conclut Maxime Audinet. “On ne peut pas traîter l’un sans l’autre”.
Maxime Audinet est l'auteur de "Russia Today, "un média d'influence au service de l’État russe”, publié aux éditions de l'INA.
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