Après des mois de tensions, le départ de Mgr Luc Ravel est désormais effectif. Au-delà de ce cas particulier, n’y a-t-il pas urgence à réfléchir au rôle et à l’accompagnement des "successeurs des apôtres" ?
Je ne vais pas, rassurez-vous, retracer toutes les étapes du mauvais feuilleton de ces derniers mois, qui a conduit à la situation actuelle. Rappelons simplement que cela faisait plus d’un mois que Luc Ravel avait présenté sa démission et qu’on attendait, donc, qu’elle soit acceptée. Et de toute évidence, l’archevêque y a été poussé, après des mois de tensions dans son diocèse. On se souvient aussi qu’une visite apostolique avait été ordonnée il y a un an par Rome… Bref : le trouble n’est pas nouveau, l’impasse est constatée depuis un moment, et l’affaire laissera malheureusement des traces profondes, en Alsace comme dans l’Église de France.
D’autant que ce départ fait suite à plusieurs autres "feuilletons" qui ont touché l’épiscopat français ces dernières années. On se souvient, évidemment, du psychodrame qui a poussé, fin 2021, Michel Aupetit à quitter le diocèse de Paris… Là encore, je me garderai bien de refaire le film (qui tient d’ailleurs plus du navet que de la palme d’or). Et n’oublions pas la suspension l’an dernier des ordinations dans le diocèse de Fréjus-Toulon, qui a jeté une lumière crue sur la figure et la gestion de Dominique Rey. Pour l’heure, on ignore quelle issue choisira le Vatican à la fin de l’enquête en cours mais, une fois encore, un peu de transparence n’aurait certainement pas fait de mal… Je ne parle même pas des affaires d’emprise et violences sexuelles qui ont entaché plusieurs figures d’évêques émérites : c’est peu dire qu’elles sont loin d’améliorer le tableau, mais c’est un autre sujet.
On pourrait aussi bien objecter que tous ces événements forment des faits isolés. Mais il n’empêche… En plus d’ajouter à la confusion et à l’abattement des fidèles, ces cas singuliers tracent aussi, par petites touches, le tableau d’un problème épineux : celui de la difficulté à trouver des évêques, et la nécessité de repenser le sens de ce ministère aujourd’hui.
Car les attentes à l’égard de ceux qui sont, en bonne théologie catholique, "successeurs des apôtres", et dont Vatican II a encore renforcé la figure, ces attentes sont immenses… Et probablement démesurées. Un évêque - je ne parle même pas d’un "bon" évêque, c’est encore autre chose ! -, un évêque "normal", donc, doit être à la fois : responsable d’un territoire, administrateur de la structure diocésaine, manageur du clergé local, enseignant de la foi, promoteur de la synodalité, interlocuteur privilégié des pouvoirs publics, collaborateur de la justice civile et référent de la justice canonique… Sans oublier, si possible, d’être un pasteur proche des gens, un bon prédicateur et à l’écoute de tous.
Pas étonnant, dans ce contexte, qu’il soit de plus en plus difficile de trouver des candidats pour les (nombreux) postes à pourvoir. Sans compter que la déchristianisation, les affaires qui s’empilent et le manque de prêtres n’arrangent rien. Il y a d’ailleurs un paradoxe à cette situation : de l’extérieur, on entend souvent que l’évêque concentre trop de pouvoirs. Et quand on les interroge, beaucoup se plaignent d’accumuler trop de responsabilités ! Nombreux sont ceux qui vous disent qu’ils aimeraient passer davantage de temps sur le terrain plutôt qu’en réunion.
Alors, que faire ? Honnêtement, je n’ai pas de solution miracle. Mais sans doute doit-on prendre les échecs récents comme de sérieux avertissements. Au fond, à quoi sert un évêque ? Quelles attentes - raisonnables - peut-on placer en lui, sans le mettre en échec ? Et comment mieux les accompagner, pour une gouvernance plus saine ? Dans un entretien récent à La Vie, Luc Ravel disait aspirer à être désormais "un évêque libre". L’expression est révélatrice. Est-ce que nous ne gagnerions pas à permettre à tous les pasteurs d’être d’abord pleinement eux-mêmes ?
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