Le monde orthodoxe est plus que jamais divisé. Le schisme se renforce entre le patriarcat de Moscou et celui de Constantinople, auquel se rattache l'Église indépendante d'Ukraine. La guerre en Ukraine se joue en effet sur le terrain militaire mais aussi religieux. Et on peut même suspecter la hiérarchie fidèle à Moscou présente en Ukraine "d’être une cinquième colonne", selon l'historien Jean-François Colosimo. Explications.
Le schisme est renforcé entre le patriarcat orthodoxe de Moscou et celui de Constantinople, presque 10 mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La guerre se joue sur le terrain militaire mais aussi au sein de l’Église orthodoxe. "La situation que nous vivons aujourd’hui c’est celle d’une immense opposition, au sein de la majorité orthodoxe", confirme Jean-François Colosimo, historien, essayiste et éditeur, auteur de "La Crucifixion de l’Ukraine - Mille ans de guerre de religions en Europe" (éd. Albin Michel, 2022).
En Ukraine, on a d’un côté les orthodoxes "qui sont alliés à Moscou - et ils le sont depuis le XVIIe siècle avec l’avancée de l’empire tsariste". De l’autre, les "groupes qui étaient indépendantistes" depuis 1990 et "a fortiori en 2014 après l’annexion de la Crimée" - des groupes "qui se voulaient Ukrainiens avant tout" et qui -ont fini par former une Église autocéphale". Cette Église orthodoxe indépendante d’Ukraine a été reconnue en 2019 par le patriarcat œcuménique de Constantinople.
La hiérarchie fidèle à Moscou présente en Ukraine peut être tout à fait suspectée d’être une cinquième colonne
Volodymyr Zelensky a pris des mesures pour limiter les activités des organisations religieuses affiliées à Moscou. Certes ce n’est "pas formidable du point de vue de la liberté de culture de la liberté de conscience", admet Jean-François Colosimo, mais "ça correspond aussi factuellement à l’objectivité de cet état de guerre". L’historien rappelle que "Poutine a pour pontife le patriarche Kirill, qui bénit cette croisade du Kremlin. Du coup cette portion orthodoxe qui reste liée à Moscou apparaît aux yeux du pouvoir ukrainien comme un relais de l’influence de Moscou."
"Une alliance du missile et de l’encensoir". Ainsi Jean-François Colosimo décrit-il les liens entre le patriarcat de Moscou et le pouvoir russe. Selon lui, "la hiérarchie fidèle à Moscou présente en Ukraine peut être tout à fait suspectée d’être une cinquième colonne". L’auteur de l’auteur de "La Crucifixion de l’Ukraine" rappelle qu’après la chute du communisme "le clan que représente l’actuel patriarche Kirill de Moscou n’a pas opté pour l’Église des martyrs et des pauvres mais a opté véritablement pour une alliance renouvelée avec l’État, c’est-à-dire avec le FSB, l’héritier du KGB".
En perdant l’Ukraine le patriarcat de Moscou est très affaibli. Il perd la moitié de ses moyens
L’unité du monde orthodoxe semble donc voler en éclat. Mais "c’est paradoxalement une bonne nouvelle pour le monde orthodoxe", selon Jean-François Colosimo. "Le patriarche Kirill de Moscou voulait bouleverser tout l’ordre orthodoxe en mettant l’orthodoxie au service de la politique de Vladimir Poutine. En perdant l’Ukraine le patriarcat de Moscou est très affaibli. Il perd la moitié de ses moyens." Affaibli, le patriarcat de Moscou "redevient une Église orthodoxe", au sein des Églises orthodoxes…
Par ailleurs, accorder l’indépendance ecclésiastique à l’Ukraine était "un geste prophétique" de la part du patriarche Bartholomée de Constantinople, estime l’historien. Ce geste "a permis aux Ukrainiens d’être pleinement orthodoxes sans être inféodés politiquement à un pouvoir qui plus est barbare et criminel, celui de Vladimir Poutine".
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