Et si l’histoire religieuse de l’Ukraine permettait de comprendre le conflit russo-ukrainien et la guerre criminelle livrée par Vladimir Poutine ? Les trois monothéismes et les trois confessions chrétiennes n'ont cessé en effet de se rencontrer et de se confronter en Ukraine. Mais parle-t-on de tensions entre confessions ou d’une instrumentalisation à des fins politiques ? La question fait l’objet d'un débat animé entre l’essayiste Jean-François Colosimo et l’ancien journaliste de La Croix, Jean-François Bouthors.
"Il y a deux Europe mais il faut se demander d’où ça vient, sinon on ne comprend pas ce que Poutine instrumentalise", estime Jean-François Colosimo, auteur de "La Crucifixion de l’Ukraine - Mille ans de guerre de religions en Europe" (éd. Albin Michel). De la conversion, au IVe siècle, de l’Empire romain au christianisme voulue par l’empereur Constantin sont nées deux réalités : l’Empire byzantin d’un côté et l’Empire carolingien de l’autre. "Les missionnaires carolingiens et byzantins, devenus étrangers les uns aux autres - dans les rites, dans les proclamations, même un peu doctrinales, surtout dans la mentalité, dans la langue, le latin, le grec, etc. - vont se confronter pour l’évangélisation de Slaves", résume l'essayiste. "Ça va être une rivalité, et cette rivalité va dessiner une ligne de fracture, qui existe encore aujourd’hui."
"Il y a une unité réelle, profonde, du monde chrétien", défend au contraire Jean-François Bouthors, auteur de l'essai "Poutine, la logique de la force" (éd. de l'Aube, 2022). Selon lui, il y a, à l’intérieur du monde chrétien "des divisions sur la base d’une unité, c’est bien là le problème ! C’est parce qu’on partage à priori la même vérité qu’on se déchire pour la possession de cette vérité." Ainsi, la ligne de fracture décrite par Jean-François Colosimo est-elle d’abord le fait du "politique" qui "instrumentalise" la religion, pour l'ancien journaliste à La Croix.
Aujourd'hui, "le problème ukrainien n'est pas un problème d'Église, c'est un problème d'État qui ranime des querelles religieuses", estime Jean-François Colosimo. En termes de querelles, on connaît celle du Filioque, à partir du VIIIe siècle, où les Églises romaine et grecque se sont opposées au sujet des trois personnes de la Trinité. Le Fils procède-t-il du Père ou bien en est-il l'égal ? "On s'est écharpés là-dessus pendant mille ans, raconte Jean-François Colosimo, mais cette question est importante parce que le Saint-Esprit, c'est le principe de la liberté dans l'Église..."
Après la chute de Rome et les invasions barbares, Rome a évangélisé en latin et Byzance dans les différentes langues vernaculaires. Pour Jean-François Colosimo, cela a produit, côté occidental, "une construction d’autorité pyramidale" et, à l'Est, "des identités nationales, populaires, ethniques", avec chacune leur langue, leur culte, leur liturgie... "En Occident, on va avoir des États-nations mais à l’Est des Églises-nations." Aussi, quand, en 1989, on a voulu voir "dans l’essor de tous ces peuples enfin libres du communisme", une aspiration "à entrer dans la grande mondialisation libérale", ces mêmes peuples étaient en réalité en "reconquête de leur identité".
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