Dans ses projets de contre-offensive, l'armée ukrainienne voit ses plans retardés par moults sabotages. La présidence a annoncé dans la nuit du 5 au 6 juin que les forces russes ont fait sauter le barrage hydroélectrique de Nova Kakhovka, dans la région de Kherson (Sud). Plusieurs villages sont à cette heure complètement inondés.
Conseiller du président Zelensky, Mykhaïlo Podoliak s'est montré clair cette nuit, après la destruction de la centrale hydroélectrique de Kakhova. Dans un message adressé aux journalistes, il a accusé la Russie de "créer des obstacles pour les actions offensives des forces armées". Zelensky lui-même avait confié au Wall Street Journal, ce week-end, que ses troupes étaient prêtes à contre-attaquer. Le tout récent épisode constitue donc un coup dur pour l'armée ukrainienne, pourtant vaillante depuis janvier et le début d'une offensive russe d'ampleur sur le front de Bakhmout.
Une technique que j'appelle la technique des trois A : affaibilir les Russes, les affoler, et affiner leur propre contre-offensive
"Bakhmout est tombée à peu près complètement, mais sur les autres positions, les Ukrainiens ont très bien résisté, résume Pierre Servent, journaliste et spécialiste des questions de défense. Depuis un peu plus d'un mois, les Ukrainiens procèdent à des frappes dans la profondeur du territoire occupé de diverses façons. Des trains déraillent, des drones frappent ici ou là en Russie, des postes électriques et des bâtiments brûlent, il y a des incursions territoriales avec des unités blindées relativement lourdes", énumère-t-il. Et d'exposer, en un moyen mnémo-technique imparable, la stratégie ukrainienne : "Une technique que j'appelle la technique des trois A : affaibilir les Russes, les affoler, et affiner leur propre contre-offensive".
Pressentie depuis plusieurs semaines, la contre-offensive tant attendue par le peuple occupé connaît quelques atermoiements. Dûs, notamment, au délai que prend la constitution des stocks d'armes. "Dans la planification d'une opération, il faut prévoir l'approvisionnement continu des forces qui vont passer à l'offensive. Il faut avoir deux ou trois mois de munitions en stock, décrypte Pierre Servent. Or les Russes ont fait quelques frappes ces derniers temps sur les stocks de munitions ukrainiens dans l'ouest du pays. On ne sait pas exactement ce qui a été détruit, mais cela peut contribuer à ce que les Ukrainiens prennent du temps pour reconstruire ces réserves". Le matériel occidental met du temps à parvenir au théâtre du conflit. A l'inverse des chars allemands Leopard 2, les M1 Abrams promis par les Etats-Unis, bien qu'arrivés en Ukraine, ne devraient être opérationnels que fin 2023. "Les chars Abrams (les plus lourds au monde, ndlr), sont arrivés tardivement, explique l'expert. Les Français ont fourni des blindés légers, les excellents AMX-10 RC, mais qui ne sont pas tous arrivés sur le terrain".
En plus d'être soutenue par les Occidentaux, l'armée ukrainienne possède un atout majeur : l'organisation chaotique des troupes adverses. "La grande fragilité, côté russe, c'est qu'il s'agit d'une armée patchwork. C'est-à-dire une armée extrêmement composite, analyse Pierre Servent avant de détailler. Vous avez de l'armée régulière avec du bon et du très mauvais, les milices de Wagner, les milices de Kadyrov, les milices des oblasts sécessionnistes ukrainiens. Cela ne fait pas une armée". Et de filer la métaphore textile. "Comme sur un patchwork, il y a de gros problèmes de coutures. Les coutures sont lâches : c'est autour d'elles que les Ukrainiens vont chercher à taper", entrevoit-il.
Comme sur un patchwork, il y a de gros problèmes de coutures. Les coutures sont lâches : c'est autour d'elles que les Ukrainiens vont chercher à taper
Il faut ajouter à cela les dissensions croissantes, côté russe, entre la milice paramilitaire Wagner et l'armée régulière. Un affrontement interne que Pierre Servent juge "absolument sidérant". Chef de la première, Evguéni Prigojine a ce week-end accusé une unité russe d'avoir attaqué ses hommes. Le bras de fer qu'il livre au ministre de la Défense Sergueï Choïgou n'en est sans doute qu'à ses débuts. Une aubaine pour l'Ukraine ?
* Pierre Servent, Le monde de demain - Comprendre les conséquences planétaires de l'onde de choc ukrainienne, Robert Laffont, 2022, 20 euros
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