Soigner les corps et les cœurs. Telle pourrait être la devise de ceux qui accompagnent les mourants en unité de soins palliatifs. Un lieu à part où la douleur physique est prise en charge autant que la souffrance morale et spirituelle. Car la conscience de la mort imminente est un vertige qui ne manque jamais de soulever des angoisses. La religion, sans prétendre les supprimer, y apporte une réponse vitale.
Comment qualifier la tache d'un médecin en soins palliatifs ? Vaste programme que d'exercer dans un endroit si spécial, où se joue quotidiennement le mystère de la mort quand la médecine toute-puissante ne sait plus guérir. "Offrir aux personnes en fin de vie l'opportunité de relire leur vie, et de se relier à soi-même, aux autres, et à Dieu si elles le souhaitent", résume le père François Buet, médecin en soins palliatifs et prêtre à Marseille. "Comme soignants, nous ouvrons un espace de prise en compte de la personne, de l'ordre des besoins spirituels humains qui peuvent aboutir à des besoins spirituels religieux", explique celui dont les deux casquettes vont de pair.
Si la perspective d'un au-delà aide sans doute à endurer l'épreuve terminale, elle ne la fait pas pour autant disparaître. "Donner un sens à cette souffrance ne signifie pas la gommer, c'est au contraire la regarder en face, et permettre à la personne de se savoir rejointe", estime François Buet, rappelant que "c'est le cœur du christianisme". "Le Christ a vécu une souffrance intégrale, souligne-t-il. Nous pouvons être rejoints, chacun et chacune, par Celui qui a vécu toutes nos souffrances".
Une jeune femme atteinte d'une leucémie me confiait : "Je ne pensais pas que Dieu aurait pour moi autant de délicatesse"
Au cœur de la peine existentielle que l'approche de la mort suscite toujours, la joie peut parvenir à se frayer un chemin. Comme un miracle, qui résulte souvent d'un processus de pacification intérieure. Le praticien raconte le souvenir "bouleversant" d'une "jeune femme atteinte d'une leucémie, qui avait fait tout ce chemin de consolation et de libération intérieure et qui, quelques jours avant sa mort, me confiait : ‘Je ne pensais pas que Dieu aurait pour moi autant de délicatesse'".
Alors que 26 départements sont à ce jour dépourvus d'unité de soins palliatifs, la France se dirige pas à pas vers une légalisation de l'euthanasie. Devant les membres de la convention citoyenne sur la fin de vie, Emmanuel Macron annonçait début avril vouloir une loi dans ce sens avant la fin de l'été. L'aumônier de la clinique Sainte-Elisabeth est catégorique. "Beaucoup de demandes d'euthanasie trouvent leur origine dans une douleur insuffisamment soulagée. En 2023, nous avons tout un arsenal thérapeutique qui permet de répondre concrètement aux souffrances physiques, martèle-t-il. Il peut arriver exceptionnellement qu'il demeure des douleurs réfractaires mais, dans 99,9% des cas, ces douleurs sont soulagées". Longtemps chef de service de l'USP de Houdan (Yvelines), Claude Grange ne dit pas autre dans Le dernier souffle, lorsqu'il écrit que "les malades ne lui demandaient pas ou plus de mourir à partir du moment où ils étaient soulagés, accompagnés et décideurs". François Buet précise toutefois qu'il n'y a "pas de solution parfaite". Le "Quiconque meurt, meurt à douleur" de Villon n'est pas totalement démodé par la technique.
Il peut arriver exceptionnellement qu'il demeure des douleurs réfractaires mais, dans 99,9% des cas, ces douleurs sont soulagées
Le curé phocéen reprend l'expression "d'aide active à vivre", défendue par les évêques de France en réponse à "l'aide active à mourir" pudiquement prônée par les tenants de l'euthanasie. "C'est la prise en charge globale, physique, psychologique, sociale et spirituelle, qui permet d'éviter d'en arriver à demander la mort", soutient le docteur Buet, pour qui l'enjeu est de faire en sorte que les patients en fin de parcours soient des "personnes vivantes, et non pas enfermées dans la complexité de la mort qui peut devenir mortifère". Et le père François d'insister, convaincu : "Les personnes meurent en soins palliatifs, mais comme des personnes vivantes".
Impénétrable à qui veut se le figurer, l'entre-deux décisif qui caractérise les derniers instants est devenu intime à François Buet. "Au moment du grand passage, on sent bien que la personne est seule face à son Dieu", souffle le convoyeur d'âmes. "Même quand la famille est autour, il y a un moment, la communication devient très difficile et on voit que la personne est en train de vivre un moment très important, un face-à-face avec Celui qui est Amour, Vérité et Vie", sourit-il. Rien de moins qu'une "grande accolade divine".
François Buet, Aider à renaître. Au cœur des blessures de la vie, Nouvelle Cité, 2023, 18,50 euros
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