Il y a presque un an, jour pour jour, Dominique Bernard, professeur de lettres, a été assassiné dans son lycée à Arras par un terroriste islamiste. Il y a deux ans, presque jour pour jour également, Lola, 12 ans, a été retrouvée dans une malle dans la cour de son immeuble à Paris. Nous pourrions également citer Samuel Paty ou le meurtre de la petite Philippine, survenu ces dernières semaines. Des épisodes de violence extrême qui suscitent une vive émotion au sein de l'opinion publique, accablée par l'insondable déchaînement de barbarie de ces événements. L'évêque d'Arras, Mgr Olivier Leborgne, qui a prêché lors des obsèques de Dominique Bernard et de la petite Lola, a ainsi développé une réflexion sur le mal.
Confronté au mal absolu lors des obsèques de Dominique Bernard et de la petite Lola, Mgr Olivier Leborgne répond à cette violence par l'amour : "Je suis aimé, donc je suis" écrit-il dans son essai Il n’y a pas d’autre solution que d’aimer.
Aimer, c’est une exigence pour le chrétien, selon Mgr Leborgne. Saint Paul disait ainsi : "S’il me manque l’amour, je ne suis rien." L’évêque d'Arras invite à prendre au sérieux la parole de l’Évangile et à s’interroger sur ce que signifie aimer. Pour lui, ce n’est pas une histoire d’amour passionnel, mais la capacité à aimer ses ennemis. "Pauvre amour qui n’est qu’amour de soi", dit André Comte-Sponville. Aimer, c’est vouloir le bien de l’autre, y compris celui de son ennemi, explique Mgr Leborgne. Il insiste sur l’importance de la recherche de la vérité et de la justice : "L’amour, ce n’est pas une vertu molle, c’est l’engagement, la détermination de la liberté au service du bien commun. L'amour, c'est l'engagement déterminé de la liberté pour le bien de l'autre et de tous."
La société doit bien sûr se protéger contre ces agressions, elle doit prendre la défense des victimes. Mais il faut aussi prendre soin d'une personne humaine qui ne reconnaît pas son mal, même si la sanction est nécessaire.
L’amour, selon Mgr Leborgne, s’exprime par la recherche de la vérité. Il n’y a pas d’amour sans désir de justice, sans vérité : "Je travaillais avec des hommes en prison, et ils m'ont tous dit qu'un prisonnier ne commence à se reconstruire que le jour où il reconnaît le mal qu'il a fait. Tant qu'il ne dit pas "c'est moi qui ai posé cet acte", il ne se reconstruit pas." Certaines personnes, en revanche, ne reconnaissent pas leurs actes, car leur condition humaine est profondément blessée. Elles ne connaîtront le salut qu'à leur arrivée dans le royaume de Dieu, explique Mgr Leborgne. "La société doit bien sûr se protéger contre ces agressions, elle doit prendre la défense des victimes. Mais il faut aussi prendre soin d'une personne humaine qui ne reconnaît pas son mal, même si la sanction est nécessaire."
Il y a un an, Dominique Bernard a été assassiné à Arras, et Mgr Olivier Leborgne a prêché l’homélie lors de ses obsèques. Cette prise de parole a été particulièrement importante pour l'évêque, car elle devait répondre à une mort tragique et serait scrutée avec attention. Pour préparer cette intervention, il fallait tisser des liens avec la famille, explique l’évêque : "J'ai rencontré la veuve du défunt. Ce fut une rencontre d’une humanité incroyable. Le curé lui a proposé la lecture de 1 Corinthiens 13 : "S’il me manque l’amour, je ne suis rien." Et la veuve du défunt a décider de choisir cette lecture." Mgr Leborgne y voit un témoignage de l'importance de l'amour, qu’il considère comme une vertu forte. Il prend pour exemple le témoignage d'un prêtre de Manille, qui s'occupait d’enfants vivant dans des décharges, pour qui l’amour commence par la haine, "parce que je t'aime, je hais le système qui fait que des enfants doivent vivre dans des décharges. Donc, parce que je t'aime, je vais m'intéresser au système qui permet cela. Il y a une dimension politique très forte dans l'amour."
On a le droit d'avoir peur, mais est-ce que je vais me laisser submerger par elle, ou est-ce que je vais me demander comment, avec d'autres, je peux construire un monde plus humain ?
Le mal bouleverse et déconcerte, et peut plonger dans un moment de découragement, précise l’évêque d’Arras. Mais il explique également que l’expérience du Christ, c’est de comprendre que, face au mal, nous ne serons jamais seuls, car il l’a vaincu en allant jusqu’à la mort. Selon Mgr Leborgne, l’histoire montre que répondre à la violence par la violence a toujours mené à la catastrophe. "On a le droit d'avoir peur, mais est-ce que je vais me laisser submerger par elle, ou est-ce que je vais me demander comment, avec d'autres, je peux construire un monde plus humain ?" Nous aurons toujours besoin d’une force pour nous protéger du mal, et c’est le système judiciaire qui nous protège, selon Mgr Leborgne.
L’évêque d’Arras a pris position en faveur des migrants, et souhaite que la justice internationale, politique et économique, agisse ensemble pour résoudre la crise migratoire : "Tant qu'on se contentera de mesures défensives, ça n’avancera pas. Ces personnes qui arrivent à Calais ont déjà failli mourir dix fois. Une onzième fois, ils s'en fichent. Eux, ils veulent passer. On peut construire des murs, mais l’histoire montre que ça ne sert à rien." Mgr Leborgne souligne qu’il ne faut pas culpabiliser de notre histoire, mais que la chance de vivre dans un pays comme la France nous impose une responsabilité sur la scène internationale. "Un migrant a été créé à l'image de Dieu, comme vous. Il est sauvé par le Christ, comme vous. Je n'ai pas de solution, mais cherchons ensemble."
C'est bien beau tout ce qu'on nous dit, mais nous sommes hypocrites. Qui va faire le travail que les Français ne veulent pas faire ? Sommes-nous dans la vérité, ou persistons-nous dans une hypocrisie défensive ?
L’évêque d’Arras déplore particulièrement le nombre de médecins qui quittent des pays comme le Cameroun pour travailler ailleurs. Selon lui, cela prive ces pays de leurs forces vives en matière de santé, et il qualifie ce phénomène de "néocolonialisme maquillé". "C'est bien beau tout ce qu'on nous dit, mais nous sommes hypocrites. Qui va faire le travail que les Français ne veulent pas faire ? Sommes-nous dans la vérité, ou persistons-nous dans une hypocrisie défensive ?", conclut Mgr Leborgne.
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