Alors que l'on commémore aujourd'hui le premier anniversaire de l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, le pape François a appelé dimanche la communauté internationale à "mettre fin à la spirale de la vengeance et à stopper toute nouvelle attaque". Il a réitéré son espoir d'un cessez-le-feu immédiat sur tous les fronts de guerre. Pour décrypter cette recherche de paix, Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales, politologue et auteur de l'ouvrage L'Art de la paix.
Le pape a appelé, lundi 7 octobre, à une journée de prière et de pénitence pour la paix dans le monde. Espérer la paix aujourd'hui, est-ce une utopie ? La paix est-elle une mission impossible ?
On pourrait avoir tendance à définir l'histoire comme une succession de conflits. Bertrand Badie propose une autre vision de l'histoire. "Pendant des siècles, la paix n'était que l'absence de guerre. Dans le langage courant, on parle de l'après-guerre, de l'avant-guerre, de l'entre-deux-guerres, mais jamais de l'avant-paix, par exemple." Selon le politologue, cette définition de l'histoire trouve son origine lors de la création des États-nations en Europe pendant la Renaissance. La guerre apparaissait alors comme fonctionnelle pour les États. "Notre histoire s'est construite autour de l'idée que l'État se consoliderait et se renforcerait grâce à la guerre, et que la guerre trouverait dans l'État les ressources pour sa pérennité. Cela a fonctionné : le vainqueur obtenait des avantages significatifs."
La mondialisation nous expose à des menaces bien plus grandes que celles posées par les voisins : dérèglement climatique, menaces sanitaires et alimentaires. Aujourd'hui, la guerre coûte de plus en plus cher et devient de moins en moins utile.
Depuis 1945, le spécialiste observe une rupture : la guerre ne produit plus de victoires. "Les rares victoires militaires depuis 1945 n'ont jamais abouti à des victoires politiques." Bertrand Badie explique ce renversement de tendance par deux grandes ruptures : la décolonisation et la mondialisation. La décolonisation a permis la victoire du faible sur le fort, les indépendantistes finissant par l'emporter politiquement même s'ils étaient battus militairement. Ce renversement de conjoncture a dévalué la puissance. La mondialisation, quant à elle, a transformé la guerre, auparavant entre voisins, en un système d'interdépendance généralisé entre États, sociétés et peuples, ce qui amplifie les conséquences des conflits. Bertrand Badie explique : "La mondialisation nous expose à des menaces bien plus grandes que celles posées par les voisins : dérèglement climatique, menaces sanitaires et alimentaires. Aujourd'hui, la guerre coûte de plus en plus cher et devient de moins en moins utile."
En suivant cette réflexion, des acteurs rationnels passeraient d'une stratégie de guerre à une stratégie de paix, souligne Bertrand Badie, qu'il définit comme "l'accomplissement de l'humain". "La paix, ce n'est pas l'absence de guerre. Aristote la définissait comme la coexistence entre individus différents, et Saint-Augustin, comme la capacité pour chacun de boire de l'eau pure. La paix, c'est l'accomplissement total de l'humanité." Cet idéal a été effacé au profit du jeu politique, apparemment plus lucratif, mais qui ne l'est pas vraiment, explique le politologue. L'histoire de la paix repose sur la satisfaction de la sufficiencia vite, c'est-à-dire des besoins vitaux essentiels. La satisfaction de ces besoins, grâce à une gouvernance globale, conduirait à la découverte de la véritable paix. Les États doivent adopter cette nouvelle manière de penser, car l'humanité fait face à des défis globaux. "Il devient maintenant nécessaire d'aider l'autre à satisfaire ses besoins essentiels", conclut Bertrand Badie.
Il faut éradiquer l'humiliation ; ce n'est pas le Hamas qu'il faut éradiquer, car tant que le terreau de l'humiliation persistera, le phénomène Hamas ou Hezbollah se reproduira.
Le discours sur la paix doit aller au-delà de l'humiliation. "Il faut éradiquer l'humiliation ; ce n'est pas le Hamas qu'il faut éradiquer, car tant que le terreau de l'humiliation persistera, le phénomène Hamas ou Hezbollah se reproduira." Pour Bertrand Badie, ce sentiment d'humiliation provient de la non-reconnaissance des besoins fondamentaux de l'humanité : l'irrespect, le mépris et le manque de reconnaissance de l'autre. "Si l'autre est maltraité, c'est moi qui en serai victime, car la rage de l'autre finira par me détruire."
Pendant quatre siècles, les relations internationales se limitaient aux interactions entre les monarchies européennes, puis avec l'Amérique du Nord. "La mondialisation a ruiné quatre siècles de certitudes et de confort routinier", souligne le spécialiste des relations internationales. Elle nous oblige à vivre non seulement avec nos voisins immédiats, mais aussi avec des acteurs beaucoup plus lointains. Ce changement brusque peut susciter la peur parmi les populations. Bertrand Badie poursuit : "Le succès de l'extrême droite, tant aux États-Unis qu'en Europe, réside dans la manipulation de cette peur. Pourtant, l'urgence est de construire des politiques d'altérité, de reconnaissance et de compréhension."
Israël n'a pas une politique de paix, mais une politique de sécurité. Elle estime que la seule façon d'assurer cette sécurité est l'usage de la puissance. Or, cette puissance ne produit ni sécurité ni paix, mais génère de plus en plus de ressentiment et de haine.
Pour Bertrand Badie, le véritable problème est que la paix n'a jamais vraiment existé, et il cite en exemple la politique menée par Israël : "Israël n'a pas une politique de paix, mais une politique de sécurité. Elle estime que la seule façon d'assurer cette sécurité est l'usage de la puissance. Or, cette puissance ne produit ni sécurité ni paix, mais génère de plus en plus de ressentiment et de haine." La solution, selon le politologue, est de rompre avec cette logique de puissance pour adopter une politique de paix. La seule solution viable reste la solution à deux États, dans laquelle la coexistence de deux États est institutionnalisée.
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