Plus de 200 000 personnes, actuellement hébergées essentiellement dans des hôtels, doivent impérativement trouver un logement au sortir de la trêve hivernale. La situation est grave de par l’ampleur de l’enjeu ; elle l’est plus encore pour ceux qui, confrontés à cette situation, s’interrogent avec inquiétude : serons-nous jetés, rejetés à la rue.
Un tel dessein est impensable ou bien alors les « jours de l’après », si porteurs d’espoir, se révèleront des jours plus sombres encore pour laisser au bord de la rue les plus fragiles, mais alors dans quelle Société sommes-nous.
L’heure n’est surtout pas d’accuser ou de faire de quelconques reproches à qui que ce soit ; elle est celle qui nous invite à se mobiliser pour relever un défi sociétal majeur : l’attention à la vulnérabilité ; elle n’est pas une option, elle s’impose, d’autant qu’elle est à notre portée pour autant que nous le décidions, à l’exemple de M Alain Mérieux avec l’Entreprise des Possibles.
Madame la Ministre du Logement appelle tous les acteurs publics/privés à s’investir pour éradiquer une injustice qui n’a que trop duré. Victor Hugo, dans les Misérables publiés il y a 160 ans, dénonçait déjà une telle situation : « Dans ces fêtes d’hiver, riches, heureux du monde… songez-vous parfois que, de faim dévoré, un indigent dans les carrefours sombres s’arrête et voit danser vos lumineuses ombres aux vitres du salon doré ».
Ce grand roman social, tout à la fois historique, philosophique et rédempteur souligne cette inégalité qui fait que les plus misérables n’ont rien, même pas un toit.
160 ans plus tard, les écrits du prophète des pauvres gardent une absolue acuité et actualité. Il nous faut reconnaître que nous nous sommes habitués à ce tragique fossé pour passer à côté de ceux qui nous dérangent, jusqu’à les nommer les invisibles.
Seulement, la crise sanitaire nous a conduits à jeter les masques, nous obligeant à les regarder en face et à faire face à cette iniquité qui cause une double peine puisqu’aux risques de la rue, s’ajoute l’impossibilité de bénéficier de la protection que représente le toit.
Dans cette guerre, même si l’expression est discutée et discutable, reconnaissons que si nous entendions cet appel à rester chez nous, les sans-abri ressentaient qu’ils étaient qu’une charge, éprouvant combien ils ne manquaient à personne ; des sous-hommes, terrible !
Quelle injustice quand l’égale dignité de chaque être est bafouée.
Dans sa lettre publique de 1832, suite à la condamnation à mort de Claude Gueux, un détenu à Clairvaux, Victor Hugo écrivait : « le corps social a un vice dans le sang. Vous voilà réunis en consultation au chevet du malade ; occupez-vous de la maladie ».
La question nous est posée : cette maladie, comment la traitons-nous ?
Nous voilà au chevet de ce que nous ne voulions pas voir. Dans « Les châtiments », Victor Hugo dit : presque enfant à 20 ans, déjà vieillard à 30. Le vivant, chaque jour, sent la mort pénétrant et s’infiltrant dans le corps ».
Ce virus déchiquetant les plus vulnérables sera-t-il pris en compte.
2021 est l’an de l’espoir, né de l’apport des chercheurs, la mission des soignants, toute une intelligence de l’autre pour éradiquer la crise sanitaire. A cette même créativité ne sommes-nous pas tous appelés pour n’accepter ni la mort sociale, ni la deuxième mort que vivent trop de SDF : 569 en 2019 (cf. Collectif ‘Les Morts de la Rue’).
Qu’ont-ils fait pour subir une telle exclusion et une telle condamnation.
1981, la peine de mort est abolie, 40 ans ! Le sera-t-elle cette année pour qu’il n’y ait plus de morts de la rue.
L’invisibilité des pauvres a soufflé ‘le plafond de verre’, nous obligeant, pas seulement à voir, mais à revoir ce qu’il nous faut absolument changer pour que disparaisse l’infamie de cette lèpre qu’est l’indifférence.
Bernard Devert
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