Le fascisme est-il de retour en Europe ? L’élection de Giorgia Meloni en Italie, figure d'extrême droite est présentée comme un séisme pour le continent. Néanmoins, l’affolement des médias étrangers est moins palpable en Italie, plus habituée à l’extrême droite, qui s’attendait à la victoire de Meloni et surtout qui qualifie son parti, Fratelli d’Italia, de centre-droit. En France, il est désigné comme post-fasciste. Ce grand écart pose question sur la représentation que se font les Italiens du fascisme aujourd’hui. Il interpelle aussi sur la relecture politique qui est faite de cette période de l'Entre-deux-guerre
Imaginez-vous, découvrir à 50 ans que votre grand-père était un partisan de la première heure du régime de Vichy de Pétain, ou un sympathisant actif du nazisme. Un squelette qui ressort du placard où un secret de famille tenace avait tenté de l’enfermer. C’est l’histoire relatée par l’ancienne députée de gauche italienne, Michela Marzano dans son livre : “Mon nom est sans mémoire”. “J’ai découvert que mon grand-père avait été un fasciste du début jusqu’à la fin", explique-t-elle. Une histoire refoulée par son père, militant de gauche, et qui a explosé des années plus tard.
“Comme dans mon histoire, une partie du passé du fascisme a été refoulée par l’Italie toute entière”. À la différence de la France ou de l’Allemagne, l’Italie est, en effet, loin d’avoir soldé ses comptes avec le fascisme de Benito Mussolini. “Il n’y a pas eu de Nuremberg des responsables du fascisme italien” abonde l’historien Frédéric Le Moal, professeur au lycée militaire de Saint-Cyr. “En 1945, l’élite italienne a rapidement voulu tourner la page, il y a eu des amnisties prononcées ” détaille-t-il. “De plus, le régime fasciste n’ayant pas atteint la violence du nazisme ou du communisme, les Italiens ont tenu à se différencier de ces totalitarismes”.
C’est à nous, petit-fils et petites-filles de fascistes, de faire ce travail de mémoire
Il y a pourtant eu un travail d’histoire sur le fascisme, mais qui n’a pas atteint la mémoire de tous les Italiens. “Nous n’avons pas eu le courage, ni la force et nous avons probablement été terrassé par la honte” analyse Michela Marzano. “Aujourd’hui, c’est à nous, troisième génération, petit-fils et petites-filles de fascistes, de faire ce travail de mémoire”.
Cette approche mémorielle peut-être une grille de lecture pour expliquer l’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni dans le sens où l’Italie conserve une ambiguïté avec le fascisme et ses héritiers. Frédéric Le Moal, auteur de « Histoire du fascisme » (ed. Perrin, 2018), parle d’une “vision ambivalente”. “Vous avez dans plusieurs couches de la société italienne des regards positifs sur la période fasciste et sur la personne de Mussolini". Pourtant, chez nos voisins transalpins, l'apologie du fascisme est interdite depuis 1952, mais paradoxalement, on peut encore trouver des t-shirts ou des tasses à l'effigie de Mussolini.
“La mémoire positive du fasciste met en avant l’ordre du pays pendant la période du régime, les réalisations économiques, les grands travaux, la construction de villes nouvelles ou encore la puissance indéniable qui était celle de l’Italie à cette époque sur le plan international". Dans un pays qui enchaîne les crises politiques et qui est troublé socialement et dans son identité, “la période du fascisme peut apparaître comme une période de stabilité et de puissance”.
En Italie, il n’y a pas ce tabou politique et idéologique qu’on peut trouver en Allemagne
Du fait de cette ambiguïté mémorielle autour de la période d’avant guerre, “une partie de notre culture politique est moins fortement ancrée autour des valeurs libérales et démocratiques” explique Piero Ignazi, professeur de sciences politiques à Bologne. “Cette frange s’est retrouvée aujourd’hui dans Giorgia Meloni” ajoute-t-il. Le vote n’est donc pas forcément toujours d’adhésion, mais illustre bien la différence qui existe entre les garde-fous présents en France face à l’extrême droite et l’absence de ceux-ci en Italie. “Dans une partie de la population, il n’y a pas ce tabou politique et idéologique qu’on peut trouver en Allemagne” complète Frédéric Le Moal.
La filiation entre Giorgia Meloni et le fasciste est indéniables. Jeune militante, elle déclarait que “Mussolini était un bon politicien” qui a tout donné pour l’Italie. “Elle est issue de la tradition politique et culturelle du néofascisme” confirme Piero Ignazi. “Cela part directement après la guerre avec le Mouvement social de Giorgio Almirante, héritier direct du fascisme. Il est ensuite transformé dans les années 90 en Alleanza nazionale. Ce dernier est ensuite devenu une composante du parti de Silvio Berlusconi, mais une autre frange portée par Giorgia Meloni a créé Fratelli d'Italia". Le milieu d’origine est donc clair, mais le positionnement actuel est beaucoup plus complexe.
Depuis sa jeunesse, la leader d’extrême droite a fait sa mue et a mené la dédiabolisation de son parti. Pendant la dernière campagne, elle affirmait d’ailleurs que cela faisait “plusieurs décennies que la droite italienne avait relégué le fascisme à l’histoire”. Un jeu de dupes pour Michela Marzano qui s’inquiète des positions conservatrices de la future présidente du conseil en matière de société. “Lorsqu’elle dit qu’une femme est une femme uniquement si elle est mère, lorsqu’elle laisse entendre que les couples homosexuels sont contre-nature, lorsqu’elle ne parvient pas à dénoncer l’idéologie rasciste du fascisme : elle n’est rien d’autre qu’une héritière du régime” s’insurge-t-elle.
“Les positions de Meloni sont très ambiguës” abonde Piero Ignazi. “Elle ne considère pas le 25 avril comme une fête nationale marquant la libération de l’Italie face au fascisme. De cette manière, elle refuse de reconnaître les origines anti-fascistes de notre République”. De même, la reprise de la flamme sur le logo de son parti, Fratelli d’Italia, rappelle celle de Mussolini. Pour autant : cette dimension symbolique et ce conservatisme social, suffisent-ils à justifier l’emploi du qualificatif fasciste ou post-fasciste à l’égard de Meloni ?
“Lorsqu’elle parle d’Homme déviant et qu’elle veut créer une jeunesse qui sorte de cette déviance, elle fait un lien direct avec le mythe de l’homme nouveau du fascisme de Mussolini” acquiesce Michela Marzano. Sauf que d’un point de vue historique, c’est le projet de société qui diverge. “Le fascisme est né de la crise provoquée par la Première Guerre mondiale et par l’immédiat après-guerre. C’est le front qui prend le pouvoir pour résoudre par la violence la crise provoquée par cette guerre” explique Frédéric Le Moal.
“Le fascisme n’est pas conservateur, il est révolutionnaire", décrypte-t-il. “Les fascistes regardaient vers un avenir nouveau, ils voulaient construire un État nouveau et réaliser une révolution politique et spirituelle des Italiens pour forger un Italien nouveau”. À l’inverse, c’est une tradition et une identité italienne considérées comme menacées que cherche à défendre Giorgia Meloni. “Elle se penche sur la question identitaire, mais de manière défensive. Sa vision du nationalisme n’est donc pas offensive et ne fait pas l’exaltation de la violence” complète l’historien. “Or, cette exaltation de la violence est au cœur du fascisme, on ne peut pas le comprendre sans cela. Là, il n'y a pas de volonté de créer un parti unique, pas de chemises noires qui mettent à sac les partis et les journaux d’opposition. Rien ne rattache Giorgia Meloni au fascisme dans son programme et il n’y a rien de fasciste dans un mouvement qui est avant tout un mouvement national conservateur” conclut Frédéric Le Moal.
Suivez l’actualité nationale et régionale chaque jour
RCF est une radio associative et professionnelle.
Pour préserver la qualité de ses programmes et son indépendance, RCF compte sur la mobilisation de tous ses auditeurs. Vous aussi participez à son financement !