Dans un monde multipolaire traversé par des mutations nouvelles, les grilles de lecture traditionnelles semblent brouillées. Fort d'une longue proximité avec le pouvoir, Jacques Attali tente de rendre accessible à chacun la compréhension des affaires mondiales.
Pour Jacques Attali, la fin de la toute-puissance américaine sur l'ordre mondial s'est manifestée par excellence lors de la crise financière des subprimes. "Nous sommes dans une crise qui marque la fin du pouvoir centré autour de la Californie. Cette crise a commencé vers 2007 et dure encore, affirme l'économiste et écrivain. Elle durera aussi longtemps qu'un autre système plus stable ne sera pas établi soit autour d'un nouveau centre, avec de nouvelles technologies, de nouveaux biens de consommation et une nouvelle organisation du pouvoir géopolitique", pose-t-il d'une part. "Soit, et c'est à mon avis plus vraisemblable, il n'y aura pas de nouveau cœur et l'on s'installera durablement dans un monde sans système ordonné".
Dans un livre qui se veut une vulgarisation des enjeux internationaux actuels*, l'ancien conseiller de François Mitterrand retrace les affrontements qui marquèrent chaque époque. "Depuis mille ans, il y a une bataille entre dictatures et démocraties qui, à mon sens et au sens de l'histoire longue, est plutôt gagné par la démocratie, ce qui est bon signe", observe Jacques Attali, qui constate en ce moment "une montée de l'individualisme qui n'est pas forcément bon signe".
Depuis mille ans, il y a une bataille entre dictatures et démocraties qui, à mon sens et au sens de l'histoire longue, est plutôt gagné par la démocratie, ce qui est bon signe
Celui-ci prend racine dans plusieurs mouvements de fond. Entre autres, "on le retrouve dans l'idéologie consommatrice (mais pas la mondialisation, "non, non", assène-t-il) mais aussi dans l'idéologie populiste", estime-t-il. "En réalité, le vivre-ensemble, l'importance de l'autre, l'altruisme sont la clé de la survie de l'humanité", oppose l'écrivain.
À l'entendre, les défis sont immenses. Il évoque toutes "les grandes menaces mortelles qui sont devant nous : le climat, la guerre, ce que j'appelle l'artificialisation de la nature et du vivant". Alors que l'immigration agite le débat public en France comme ailleurs, les flux de population ne représentent pas un enjeu majeur aux yeux de l'intellectuel. "Ce problème n'est pas nouveau", balaie-t-il, reconnaissant dans le même temps que "les mutations écologiques vont pousser un grand nombre de personnes à bouger". Un phénomène inédit, donc.
Les mutations écologiques vont pousser un grand nombre de personnes à bouger
Alors que les foyers religieux se déplacent avec les mouvements humains, quid de la question religieuse au XXIe siècle ? "Il peut y avoir une place pour les religions, à condition qu'elles soient un lieu de tolérance, considère Jacques Attali. Il ne faut pas idéaliser non plus la fonction de l'Eglise, et des religions, qu'elles soient catholique, protestante, juive, musulmane ou autres. Ce sont aussi des lieux d'intolérance extrême, alerte-t-il. Mais si elles retrouvent leur fondement sur l'amour, alors elles ont un rôle essentiel à jouer". Finalement, l'économie n'est pas l'unique nerf de la guerre. Il y a l'amour, aussi, et les formes qu'il prend. "La grande bataille à venir va être entre le narcissisme : l'amour réduit à l'amour de soi ; et l'altruisme, où l'on comprend que l'on a intérêt au bonheur des autres et même au-delà, que l'on trouve du bonheur dans celui des autres".
*Jacques Attali, Le monde, modes d'emploi. Comprendre, prévoir, agir, protéger, Flammarion, 2023, 20 euros.
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