Au Vatican, on disait que Jean Vanier était le disciple le plus fanatique de Thomas Philippe. Malgré les condamnations qui pesaient sur le dominicain, la fidélité de Jean Vanier à l'égard de son père spirituel a été totale jusqu'à la fin de sa vie. Dans quelle mesure a-t-il été sous l'emprise du père Philippe ? Peut-on dire qu'il en a été victime ?
Le psychiatre et psychothérapeute Bernard Granger est l’un des six membres de la commission d’enquête créée par l’Arche Internationale pour enquêter sur Jean Vanier. Ce professeur d’université fait partie de la commission d’expertise indépendante de conseil aux évêques confrontés à des prêtres accusés de pédophilie dans leur diocèse. Il a beaucoup travaillé sur le harcèlement moral en milieu professionnel et sur les troubles de la personnalité. Selon lui, "on peut faire l’hypothèse d’une sorte d’emprise de Thomas Philippe sur Jean Vanier".
Jean Vanier a-t-il été une victime de Thomas Philippe ? La question est particulièrement délicate, comme souvent dans les cas d’emprise. 25 femmes ont tout de même été victimes de Jean Vanier, et probablement plus selon le rapport de l’Arche Internationale. Il y a chez Jean Vanier "une adhésion à tout ce que pouvait penser, croire, écrire Thomas Philippe", souligne Bernard Granger. "On pourrait dire que Jean Vanier est aussi une victime de Thomas Philippe. Quand il l’a rencontré il était très jeune avec peu d’expérience. Thomas Philippe a mis le grappin sur Jean Vanier et a exercé une forme d’emprise dont Jean Vanier n’a jamais pu se défaire. Sa fidélité à Thomas Philippe, malgré ce qui a été révélé, a été totale jusqu’à la fin de sa vie." Si Jean Vanier a été lui-même sous emprise, il a fait preuve d'immaturité et de manipulation.
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Quelle était la nature des relations entre Thomas Philippe et Jean Vanier ? Le rapport précise qu’aucune conclusion peut être faite là-dessus. "Il y a eu une proximité importante entre Thomas Philippe et Jean Vanier, observe Bernard Granger, l’hypothèse d’un rapprochement même physique est une hypothèse, personne n’est témoin, il n’y a pas d’éléments très clairs là-dessus. Nous avons écrit qu’on ne peut ni exclure ni affirmer ce point." Mais, ajoute le psychiatre, "c’est presque accessoire", au sens où "ça ajouterait un élément sexuel dans une histoire qui en comporte beaucoup".
Jean Vanier a été qualifié par le Vatican de disciple le plus fanatique de Thomas Philippe
Ce lundi 30 janvier, jour de la parution du rapport de l’Arche Internationale, a été annoncé la parution aux éditions du Cerf de l’ouvrage "L’Affaire - Les dominicains face au scandale des frères Philippe". Prévu pour le 1er février, ce livre de l’historien Tangi Cavalin décrypte le système mis en place par Thomas Philippe, père spirituel de Jean Vanier, et Marie-Dominique Philippe, frère du premier et fondateur des frères de Saint-Jean. Un système qui a permis aux deux hommes de déployer leur vision déviante de la spiritualité et leur emprise sectaire sur un petit nombre d’adeptes.
Jean Vanier faisait donc partie de ce cercle d’initiés - l’expert parle d’un "noyau pervers narcissique". "Ce qui m’a peut-être frappé le plus, confie Bernard Granger, c’est le caractère délirant de certaines expériences vécues par Thomas Philippe et probablement un délire partagé par ses adeptes les plus proches dont faisait partie Jean Vanier, qui a été qualifié par le Vatican de disciple le plus fanatique du Père Thomas."
Il faut imaginer un petit groupe replié sur lui-même, composé de personnes "très liées" et "qui se mettent en dehors du commun des mortels". Une "croyance incestueuse et particulièrement blasphématoire". Des personnes "convaincues d’avoir des croyances et des pratiques sexuelles notamment d’un genre supérieur voire annonciateur d’un nouvel âge pour l’Église". La spiritualité développée par Thomas Philippe est basée sur "un amour physique entre Jésus et Marie". Le psychiatre conclut : "Il y a quelque chose de totalement mégalomaniaque dans ce groupe."
L’Arche n’a pas été contaminée par ces croyances délirantes
Même s’il y a eu "énormément de victimes" - les chercheurs ont recensés les témoignages de 25 personnes pour Jean Vanier et de 23 pour Thomas Philippe mais précise que cela pourrait être beaucoup plus. Cependant, ce petit groupe sectaire est "resté très enkysté autour d’un petit nombre de personnes" et "non pas diffusé dans l’Arche". "À la fois ça concerne un petit groupe de personnes, décrit le psychiatre, avec des éléments délirants, mais en même temps c’est une œuvre qui s’est développée en grande partie à l’abri de ces conceptions délirantes et perverses."
L’Arche n’a pas été "contaminée par ces croyances délirantes". Le psychiatre décrit "deux mondes parallèles très cloisonnés entre ce qui était la vie des personnes, les comportements très déviants de Thomas Philippe, Jean Vanier et d’autres, et par ailleurs l’œuvre qu’a constitué la création de l’Arche et son développement". Près de 60 ans après sa fondation, l’Arche internationale compte près de 160 communautés dans le monde. "Jean Vanier a eu des capacités d’organisation, explique Bernard Granger, il a eu la chance d’avoir autour de lui des personnes de grande valeur, ce qui explique le succès de l’Arche."
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