La guerre d'Algérie, longtemps désignée par les expressions "événements d'Algérie" et "opération de maintien de l'ordre en Algérie", a débuté dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954. Cette série d'attentats, concentrée en une seule nuit, a stupéfié les autorités et l'opinion publique française. Historien spécialiste de l’Algérie, Benjamin Stora travaille sur ce sujet depuis sa thèse sur Messali Hadj. Il revient avec un nouvel ouvrage, L’Algérie en guerre : un historien face au torrent des images, publié aux éditions de l'Archipel.
Il y a soixante-dix ans, à l’aube de la Toussaint 1954, commençait la guerre d’Algérie. Soixante ans après l’indépendance du pays, cette période de l’histoire reste un point central du débat public français.
Après sept années de guerre, l’Algérie est devenue indépendante en 1962. À l’époque, les Français avaient le sentiment que l’Algérie s’éloignait de la France, explique Benjamin Stora. Aujourd’hui, cependant, l’historien observe un phénomène inverse : "Plus le temps passe, plus on se rend compte que cette histoire se rapproche de nous. La guerre d’Algérie, plus on s’en éloigne et plus elle nous est proche." Benjamin Stora attribue ce phénomène aux héritages laissés par cette période qui continuent de nous affecter. C’est durant la guerre d’Algérie qu’a vu le jour la Vᵉ République et que l’immigration algérienne en France a doublé. "Tous ces hommes, en vieillissant, ont ressenti le besoin de transmettre, de raconter ce qu’ils avaient vécu en Algérie. Avec le temps, la guerre d’Algérie s’est rapprochée de nous et a commencé à être enseignée dans les lycées. "
Plus le temps passe, plus on se rend compte que cette histoire se rapproche de nous. La guerre d’Algérie, plus on s’en éloigne et plus elle nous est proche
La mémoire de cette guerre est en grande partie conservée et transmise à travers les lettres et photos prises par les jeunes soldats français envoyés en Algérie. Selon Benjamin Stora, il persiste un sentiment d’attente d’images concernant l’Algérie. Le cinéma français a tenté de créer cet imaginaire, sans y parvenir pleinement. Cela s'explique par la complexité de la société algérienne à l'époque, un monde mêlant ségrégation, convivialité, métissage et racisme. "On n’arrive pas à représenter une guerre qui se déroule dans un pays considéré comme français mais qui ne l’était pas." Lorsqu’il est impossible de recréer un monde imaginaire, il devient difficile de s’identifier à l’histoire, ajoute Benjamin Stora.
Emmanuel Macron a commandé un rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, remis en 2021 par Benjamin Stora. L’historien y souligne les fortes contradictions mémorielles entourant cette guerre, des deux côtés de la Méditerranée : "Ce rapport a reçu des critiques en Algérie, où l’on s’attendait à une dénonciation radicale du colonialisme, alors que j’y fais des préconisations pour avancer progressivement." En France, il a également été critiqué par certains pour qui parler de l’Algérie reviendrait à verser dans la repentance, ajoute Benjamin Stora.
Il est, selon moi, très difficile de réconcilier absolument les mémoires et de parvenir à une mémoire commune
Pour les Français, il est difficile de commémorer les soixante-dix ans du début de la guerre d’Algérie, car cette date symbolise le début d’une histoire tragique menant à la fin de l’Algérie française. À l’inverse, pour les Algériens, il s’agit de commémorer le début de la lutte pour l’indépendance. "Il est, selon moi, très difficile de réconcilier les mémoires et de parvenir à une mémoire commune." Benjamin Stora cherche à jeter des ponts pour avancer dans cette voie. "Cent trente-deux ans de présence coloniale, c’est immense. On ne peut pas, avec un discours ou un geste unique, résoudre cette contradiction."
La religion musulmane est un des aspects de la guerre d’Algérie, en partie parce qu’elle figure dans la déclaration du 1ᵉʳ novembre 1954. "Les insurgés réclamaient un État algérien fondé sur des principes islamiques. Nombre de ceux qui ont lancé l’insurrection étaient pourtant favorables au pluralisme et à une forme de sécularisation de la société, mais ils ne se retrouveront pas au pouvoir à la fin de l'histoire." Stora rappelle que, dans les révolutions, les acteurs initiaux ne sont pas toujours ceux qui accèdent au pouvoir. Après l’indépendance, l’islam est devenu religion d’État en Algérie. Bien que la place des religions ne soit pas un enjeu central de la guerre, elle a soulevé des inquiétudes quant au statut des minorités non musulmanes, note Benjamin Stora. "Certains pensaient que cet État serait laïque, pluraliste et démocratique. Mais face à l’exploitation et à l’oppression subies par la religion musulmane, il semblait inévitable qu’une partie des Algériens se montre défavorable aux minorités non musulmanes."
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