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RCF L’amour selon Benoît XVI, par Jean-Luc Marion

L’amour selon Benoît XVI, par Jean-Luc Marion

RCF, le 10 janvier 2023  -  Modifié le 11 janvier 2023
L'Invité de la Matinale L'héritage de Benoît XVI par Jean-Luc Marion, philosophe et théologien

Sa première encyclique, Benoît XVI l'a consacrée à l'amour. Dans ce texte, parfois avec des termes crus, le pape théologien défend l'unité entre l'éros, l'amour charnel, et l'agapè, l'amour choisi et désintéressé. Le philosophe et théologien Jean-Luc Marion nous explique quelle était la vision de l'amour de Benoît XVI.

Le philosophe Jean-Luc Marion reçoit le prix Ratzinger 2020, le 13/11/2021©Vatican Media Le philosophe Jean-Luc Marion reçoit le prix Ratzinger 2020, le 13/11/2021©Vatican Media

 

Le pontificat de Benoît XVI a eu une "importance fondamentale", selon Jean-Luc Marion. Ce fut le pontificat de l'un des papes "les plus directement théologiens" - et cela "a justement été non pas un handicap mais sa mission propre", estime le philosophe. "Ce n’est pas si courant finalement qu'un pape soit d'abord un théologien, au sens non pas de quelqu'un qui développe une supposée science, mais celui qui articule détaille, rend intelligible la rationalité de la révélation chrétienne. Et c'est ce qu'il a fait, en particulier dès son premier sa première encyclique." "Deus caritas est" ("Dieu est Amour"), publiée le 25 décembre 2005. À l'occasion de la mort du pape émérite, Jean-Luc Marion revient sur quelques points fondamentaux que Benoît XVI développe dans ce texte, et notamment sa vision de l'amour.

 

 

Notre grande faiblesse, c'est que nous avons une vision trop étroite de la rationalité. En particulier nos contemporains sont incapables de prendre au sérieux la logique de l’agapè, la logique de l'amour

 

 

Une conception chrétienne de la rationalité

 

Lors de la venue de Benoît XVI en France en 2008, Jean-Luc Marion avait publié dans Le Monde une tribune intitulée : "Ce que Benoît XV nous demande". Membre de l'Académie française, lauréat du prix Ratzinger en 2020, Jean-Luc Marion considère que le pape émérite "nous a toujours demandé en un sens la même chose : à savoir que la révélation [chrétienne] non seulement est rationnelle, mais elle provoque, elle permet, elle développe de la rationalité".

 

Le dialogue entre foi et raison est au cœur de la pensée de Benoît XVI. Une pensée qui va à rebours de la conception de la rationalité la plus largement répandue aujourd'hui. "Notre grande faiblesse, convient Jean-Luc Marion, c'est que nous avons une vision trop étroite de la rationalité. En particulier nos contemporains sont incapables de prendre au sérieux la logique de l’agapè, la logique de l'amour. Pour eux c'est un pur sentiment, une pure confusion, une pure pulsion, mais ça n'est pas rationnel." Or, ce qu'a défendu Benoît XVI, et que soutient Jean-Luc Marion, c'est qu'un "grand nombre de phénomènes ne peuvent se comprendre qu'à partir d'une certaine logique, d'une certaine rationalité d'un niveau supérieur". Et que "la révélation chrétienne" est "l'un des lieux de la raison".

 

 

→ À LIRE : Blanche de Richemont, une philosophe enquête sur l'amour inconditionnel

 

 

Dépasser l'opposition entre les deux sens de l'amour : éros et agapè

 

Le philosophe Jean-Luc Marion soutient la thèse de Benoît XVI selon laquelle il n’y a pas d’opposition entre les deux sens de l'amour que sont l'éros et l'agapè. Opposition répandue depuis le XVIIIe siècle "et surtout le XIXe siècle allemand". L'éros, c'est ce qui renvoie à l'érotisme, à "l'amour comme désir sexuel et expérience extatique". L'agapè est "l'amour choisi", "désintéressé", "spirituel et non pas charnel".

 

Le christianisme est largement perçu comme ayant privilégié l’agapè - ce que Benoît XVI réfute. Ainsi, l'ouvrage du théologien luthérien suédois Anders Nygren (1890-1978) paru en 1944, "Éros et agapè - La notion chrétienne de l'amour et ses transformations" dessinait une nette opposition entre les deux. Ce livre a connu un immense succès. Or, cette opposition entre éros et agapè, est "fausse", assure Jean-Luc Marion. Ne serait-ce que parce que "éros est employé deux fois dans l'Ancien Testament en grec" et parce "qu'il n'y a jamais dans les textes bibliques un seul texte qui oppose deux sens de l'amour, éros et agapè".

 

 

Dans la Bible, le rapport de l'homme et de la femme, qui est un rapport d'abord érotique, charnel, est considéré comme la figure même du rapport entre Dieu et le peuple qu'il sauve

 

 

La réciprocité dans l'amour

 

Pour Benoît XVI, l’unité entre éros et agapè "tient au fait que l'éros, souligne Jean-Luc Marion, c'est la dimension structurellement amoureuse de la créature humaine qui est biologiquement - je sais que ça déplaît aujourd'hui - et intrinsèquement orienté vers l'union à un autre". Et selon le pape théologien, "l’agapè, c'est ce qui prend le relais de l'éros", rappelle le philosophe. "Et dès le début d'ailleurs. C'est-à-dire que si vous voulez jouir de quelqu'un, il faut le faire jouir, il faut penser à lui. Et si vous ne le faites pas, même au niveau physique, vous ne parvenez à rien."

 

Le philosophe souligne même que dans son encyclique "Dieu est amour", Benoît XVI "explique cela très bien, en terme même crus". Il se réfère aux textes bibliques, où "le rapport de l'homme et de la femme, qui est un rapport d'abord érotique, charnel, est considéré comme non pas seulement l'image, non pas seulement le symbole, mais la figure même du rapport entre Dieu et le peuple qu'il sauve".

 

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
L'Invité de la Matinale

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