Servir Dieu sur les théâtres de conflits, prêcher la paix du cœur en terrain de guerre : l'aumônier militaire incarne un apparent paradoxe. Pourtant, à l'heure où l'Occident se réarme face aux menaces, son rôle est plus vital que jamais.
Lorsque le feu gronde et que la vie risque à tout moment d'être ôtée, où est Dieu, que peut Dieu ? "Là où il y a des hommes et des femmes, il y a de l'âme", assure joliment Jean-Yves Ducourneau, longtemps aumônier militaire, désormais en réserve et chanoine honoraire du Diocèse des armées françaises. Cet organe ecclésial au statut particulier envoie plus de 200 prêtres, diacres et laïcs sur les théâtres d'opérations extérieures, afin que soit assurée la liberté de culte des soldats. En plus des aumôniers catholiques, donc, sont également représentés "le protestantisme, le judaïsme et, depuis 2005, l'islam", précise le prêtre, auteur d'un récent livre consacré à sa mission inhabituelle*.
S'il est assimilé au grade d'officier, l'accompagnant spirituel est, dans l'armée française, dégagé de tout statut hiérarchique. C'est qu'il est une oreille pour tous, le bras de Dieu pour chacun, quelle que soit sa position au sein du régiment. "Le militaire s'aborde par le galon, donc tout de suite on voit l'étiquette. L'aumônier n'a pas cette étiquette, il a sur lui - l'aumônier catholique en l'occurrence - un petit galon carré qui représente la croix de Jésus, et qui est le plus ancien insigne militaire qui puisse être", explique le père Ducourneau. En lieu et place de la croix, son homologue juif arbore une étoile de David, son homologue musulman, un croissant. Autant de symboles qui, en opération, distinguent les aumôniers du militaire lambda.
De la violence légitime à la violence vengeresse, il n'y a qu'un pas. La ligne de crête est ténue, mais doit être tenue. "Il faut canaliser cette violence pour pas qu'elle se transforme en haine de l'ennemi", estime le prêtre, bien conscient que, "malheureusement, cette tentation est inhérente à l'humanité".
Si la force se laisse déborder par la violence et la haine, elle n'est plus maîtrisée ni même maîtrisable
Rien n'est plus naturel selon lui que la révolte éprouvée devant la mort d'un compagnon de route : "Quand on a un jeune camarade qui tombe à côté de soi, on a une violence intérieure", que tout l'enjeu est de parvenir à contrôler. "Il faut faire attention, car le militaire détient la force, mais la force se gère. Si elle se laisse déborder par la violence et la haine, elle n'est plus maîtrisée ni même maîtrisable", constate le père Ducourneau.
"Quand on part en opération, on prépare son sac à dos en sachant que peut-être on ne reviendra pas. En fait, le militaire est préparé d'une manière théorique", énonce celui qui, au gré de son parcours, fit son sac pour le Tchad, la Côte d'Ivoire, le Kosovo et bien d'autres théâtres de guerre. "Quand la pratique arrive, c'est une autre gestion, sourit-il. On n'est plus protégé par la société de consommation, on n'est plus protégé par l'assurance-vie. On n'est protégé par rien, si ce n'est notre arme, notre gilet pare-balles et le groupe". À ce propos, il se souvient avec émotion de ce "jeune sergent sortant de l'école et qui avait à peine 22 ans, exemplaire dans sa façon d'aller secourir humainement un soldat qui paniquait. Il est resté avec lui pendant un moment. J'ai trouvé ça très fort".
* Père Jean-Yves Ducourneau, Des armes et des âmes, Tequi, 2023, 20,90 euros.
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