Reprendre le contrôle. Quand le flux intarissable des réseaux sociaux s'ajoute à celui des médias traditionnels, la masse de données diffusées devient telle que le cerveau n'est plus capable de l'absorber. L'excès d'informations provoque une fatigue individuelle dont s'inquiètent les spécialistes, mais qui n'a rien de fatal. C'est une bonne nouvelle.
Un "puits sans fond". C'est l'image que réitère instamment Guénaëlle Gault, directrice générale de L'ObSoCo (L'Observatoire Société et Consommation) et co-auteur d'un livre consacré aux effets psychologiques de la sur-information*. "Plus on est jeune, urbain, diplômé, plus on souffre de fatigue informationnelle", observe la sociologue, soulevant un paradoxe intéressant : c'est le segment le plus aisé et bien portant de la société qui pâtit le plus de l'excès d'informations. "Pour s'informer, même si l'on continue d'avoir des rendez-vous quotidiens tels que les journaux télévisés ou les émissions de radio, on consulte toute la journée de l'information sur les réseaux sociaux, qui ont pris énormément de place", constate-t-elle également.
Plus on est jeune, urbain, diplômé, plus on souffre de fatigue informationnelle
De l'échantillon social évoqué se dégagent deux nuances de rapport à l'information. Une souffrance en commun, mais individuelle pour les uns, imputée au collectif pour les autres. Individuelle pour les unes, devrait-on dire. Car Guénaëlle Gault parle d'un "profil plus féminin, issu des catégories socioprofessionnelles intermédiaires, qui dit subir l'information et parfois perdre pied, qui aimerait contrôler mais n'y arrive pas. Ce public nourrit une défiance vis-à-vis de lui-même, et souffre individuellement", analyse-t-elle. A l'inverse, les hommes auraient tendance à rejeter leur mal-être sur le collectif. "Un autre profil socialement similaire, mais plutôt masculin cette fois, qui faute de maîtrise renvoie la responsabilité au système", explique l'enseignante à Sciences-Po.
Pallier la désagréable sensation d'un tonneau des Danaïdes informationnel, voilà un programme auquel les médias doivent prendre leur part. A ce titre, et comme souvent, l'histoire peut inspirer notre époque, malgré la nouveauté absolue que représente la révolution digitale. "Quand l'imprimerie est apparue et que les livres ont créé une masse de données, on a imaginé les sommaires au début des livres, qui permettent de se repérer", rappelle Guénaëlle Gault. De la même façon, à côté des réseaux sociaux et du "scrolling" sans fin qu'ils proposent, les médias traditionnels ont un rôle crucial à jouer, dont on peut considérer qu'il relève du devoir déontologique. Celui de "recréer des univers finis, comme les newsletters, les podcasts, dont les gens s'emparent, d'ailleurs", suggère la sociologue, convaincue que "le journal papier de base, avec un début et une fin, fatigue beaucoup moins" que le flux interminable constitué par l'information numérique.
Si le système médiatique possède indiscutablement des leviers d'action quant à la maîtrise des formats, les individus n'en restent pas moins souverains. Nul n'est esclave, il tient à chacun de se prémunir contre "l'infobésité" que décrivent les experts. "Sur le plan individuel, je pense que c'est très important de prendre conscience du fonctionnement de notre cerveau et de faire un pas de côté", assure Guénaëlle Gault. La spécialiste donne des pistes concrètes d'autodiscipline numérique, comme "désactiver les notifications". Ou encore "se créer des rituels, par exemple pour les e-mails, les regarder à certains moments de la journée mais pas à chaque fois qu'une notification apparaît, propose-t-elle. Se dire qu'on y consacre une heure, mais pas plus, car cela peut être un puits sans fond". Le puits sans fond, toujours.
* Guénaëlle Gault, David Medioni, Quand l'info épuise. Le syndrome de la fatigue informationnelle, Editions de l'Aube, 2023, 8,90 euros.
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