Dans les territoires d’outre-mer, alors que les électeurs avaient largement favorisé Jean-Luc Mélenchon au premier tour, les résultats au second tour ont créé la surprise en donnant Marine Le Pen loin devant Emmanuel Macron. Plusieurs facteurs explicatifs entrent en jeu : le niveau d’abstention, le rejet du président sortant, et une certaine adhésion programmatique et idéologique aux idées du Rassemblement national.
Avec 59% des voix à La Réunion, près de 61% en Martinique et en Guyane, et près de 70% en Guadeloupe, les scores de Marine Le Pen lors du second tour de l’élection présidentielle de 2022 représentent un renversement par rapport à 2017 où dans les dix départements d'outre-mer, la candidate du Rassemblement national avait systématiquement été devancée par le candidat En Marche. Dimanche, au contraire, il n'y a qu'à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, que le président sortant est arrivé en tête.
L’appel de Jean-Luc Mélenchon à ne donner "aucune voix à l’extrême-droite" n’a pas été suffisant face à l’ampleur du sentiment anti-Macron. C’est ce que pense Karine Lebon, députée de l'île de la Réunion au sein du groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR), pour qui c’est indéniablement un vote de rejet qui s’est exprimé dimanche. « Quiconque était sur le terrain s’attendait à ce résultat là. C’était un vote "tout sauf Macron". Il y a une crispation énorme qui s’est faite pendant le quinquennat. Il ne faut pas pas oublier que La Réunion a été le département de France où la crise des Gilets jaunes a été la plus forte. »
Même constat aux Antilles, notamment en Guadeloupe et en Martinique, où ce vote a été l’expression d’une colère parfois profonde. C’est l’avis de Justin Daniel, professeur de sciences politiques à l’université des Antilles, en Martinique : "Il ne faut pas oublier que de manière structurelle, persiste dans ces territoires ultramarins une question sociale qui est restée irrésolue à ce jour avec un niveau de pauvreté qui bat des records et des inégalités sociales héritées de la période coloniale qui persistent."
La candidate du Rassemblement national a également bénéficié du fort taux d’abstention, qui a atteint 53% en moyenne dans les territoires ultramarins contre 28% en métropole. Pour autant, en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, les électeurs se sont davantage déplacés dans les bureaux de vote qu'au premier tour.
Pour la politologue et militante Françoise Vergès, si les résultats du second tour traduisent bien en premier lieu un rejet d’Emmanuel Macron, d’autres facteurs sont à prendre en compte, comme le manque d’éducation au fascisme dans les territoires d’outre-mer. "En conséquence, beaucoup voient Marine Le Pen comme quelqu’un qui s’oppose à Macron et qui parle de choses concrètes, la vie chère, la pauvreté, la disparition des services publics…" D’après Françoise Vergès, il ne faut en outre pas sous-estimer l’existence d’une forme d’adhésion aux thèses de l’extrême droite, liée à sa banalisation, et à la force du discours raciste.
Les observateurs insistent sur le fait de ne pas considérer l’outre-mer comme une entité unique et homogène. La complexité autour de la compréhension de ce vote se retrouve d’ailleurs dans la diversité des territoires ultramarins qui ne partagent pas tous la même histoire politique, sociale, démographique.
Le spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus revient notamment sur la particularité de la Nouvelle-Calédonie, dans laquelle le RN était déjà implanté lorsqu’il était Front national. "Il se tenait aux côtés des loyalistes partisans du maintien de la Nouvelle Calédonie dans la France", précise-t-il. Enfin à Mayotte, "Marine le Pen MLP est très populaire du fait de l’immigration clandestine des Comores voisines. Les Mahorais sont très remontés contre cette immigration qui pose de nombreux problèmes à ce tout petit territoire", analyse le politologue.
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