C’est une véritable bombe à retardement. En France, le phénomène des maisons fissurées à cause de la sécheresse prend de l’ampleur. Cela va du simple sinistre à des habitations déclarées en péril. Et les démarches, auprès des assurances, pour se faire indemniser s’apparentent souvent à une croisade, provoquant des situations de détresse financière et parfois psychologique. Derrière cette question, se cache également une problématique plus large : celle de l’adaptation du monde des assurances face au changement climatique.
Pierre et Isabelle ont construit leur maison en 1981 dans l’Ain. C’est en 2018 qu’ils se rendent compte que les fondations s’appuient sur une base argileuse. Après la sécheresse de l’été, ils voient apparaître les premières fissures sur leur logement. “Peu après, notre commune a été classée en catastrophe naturelle, ce qui nous a permis de commencer une action envers notre assureur, la Macif” raconte Pierre. Ensuite, c’est un expert qui est dépêché par l’assurance afin de passer en revue tous les sinistres. Conclusion “les désordres sur le gros œuvre ne sont pas dus à la sécheresse”. Le couple de retraités conteste la décision et réalise une contre-expertise, sans succès. “Aujourd’hui, j'ai pris un avocat spécialisé dans ce genre de problème. On a fait une action au tribunal et le juge a nommé un expert judiciaire qui est censé être complètement indépendant. J'attends un nouveau rendez-vous pour cette expertise” détaille Pierre.
Après quatre ans de combat, le couple ne cache pas sa lassitude. “On a mis toute notre vie dans cette maison. L'éducation des enfants et ça, c'était tous nos salaires. Il y a des années où nous ne partions même pas en vacances” s'émeut Isabelle. “Je suis un peu désabusé” reconnaît son mari. “Les enfants ont tous une bonne situation donc ça va aller. Mais nous ne leur laisserons rien, juste un tas de ruines”.
Cette situation de détresse psychologique et financière n’est pas un cas isolé, car se faire indemniser pour ce genre de sinistre est très compliqué. “C'est un peu un parcours du combattant parce qu'il faut déjà que l'état de catastrophe naturelle a été décrété” explique Olivier Moustacakis est le fondateur d’Assurland, un comparateur d'assurances. À la moindre fissure, il faut donc se tourner vers la mairie de sa commune afin qu’elle fasse une demande auprès des autorités pour être reconnue en état de catastrophe naturelle.
C’est déjà une première étape piégeuse, car le régime de catastrophe naturelle fait débat. “Le problème c’est le maillage” s'emporte Xavier Jamois, maire de Dollon dans la Sarthe et président de l’Association des communes sarthoises maisons fissurées. “La France a été découpée par carré sur une même commune, vous pouvez donc retrouver avec une maison reconnue en état de catastrophe naturelle et quinze mètres plus loin, une autre maison qui n’est pas prise en charge”.
On aura besoin d'une grande, grande discussion avec l'Etat et les assureurs à la table
“On peut s'interroger sur la pertinence du modèle de reconnaissance de catastrophe naturelle sur ce genre de dossier” avance même le député Renaissance du Nord, Vincent Ledoux, qui travaille depuis 7 ans sur ces questions. “Ce n'est pas quelque chose qui survient de manière exceptionnelle, peu ordinaire, mais c'est quelque chose qui s'installe dans le temps. La sécheresse, les épisodes de sécheresse sont de plus en plus longs et sont de plus en plus fréquents. On peut donc sortir du modèle de catastrophes naturelles”.
Dans le jargon, ce phénomène se nomme : retrait gonflement des sols argileux. Il concerne les maisons individuelles, construites sur ce genre de terrain. Avec les grosses sécheresses, ce sol se contracte, la maison est donc tiraillée et des fissures se créent. Inversement, lorsqu’il pleut, le sol se gonfle et la maison remonte. On ignore combien de personnes sont touchées exactement, mais selon le Service géologique national, le BRGM, 10,4 millions de maisons individuelles sont construites dans une zone susceptible d’être soumise au phénomène. Cela représente 54 % des maisons individuelles en France.
Une fois franchi l’obstacle de l’état de catastrophe naturelle, il s’agit donc de saisir son assurance afin d’obtenir une indemnisation. C’est là que là où le bât blesse. “L'assureur va missionner un expert” explique Hélène Niktas, référente de l’association Les oubliés de la canicule. “Le problème, c’est qu’il y a un déséquilibre au niveau de l'expertise contradictoire, car il y a un expert qui se met en position de sachant en face du sinistre qui fait souvent office de novice. Et ce déséquilibre bascule, dans la plupart des cas, en faveur de l'assureur”.
"Les experts, évidemment, jouent la partie de l'assurance et on peut aujourd'hui estimer à plus de 50% la part des dossiers d'indemnisation qui ne donnent pas lieu à indemnisation” confirmait en février dernier Annie Podeur, présidente de la 2e chambre de la Cour des comptes lors d’une audition en commission à l’Assemblée nationale. “On voit dans de nombreux cas que les dossiers sont classés sans suite sur des motifs un peu ubuesques” s'énerve Hélène Niktas. “Je pense qu'on aura besoin à un moment donné d'une grande, grande discussion avec l'Etat et les assureurs à la table” abonde Vincent Ledoux. “Les retraits gonflements des argiles/fissures sur les maisons, c'est le plus gros risque assurantiel aujourd'hui en matière de catastrophes naturelles. C'est énorme et ça ne va qu'augmenter”.
Fin novembre, justement, la Fédération française de l'Assurance a estimé le coût de la sécheresse de 2022 pour les assurances entre 1,9 à 2,8 milliards d'euros. Selon la Cour des comptes, le coût cumulé des risques sécheresse pour les assurances devrait passer de 13,8 milliards d’euros sur les vingt dernières années à 43 milliards pour les trente prochaines années. Ces ordres de grandeur remettent même en cause le système du fond catastrophe naturelle qui indemnise les sinistrés lorsque l’assurance fonctionne.
Le monde de la construction doit s'adapter
“C'est une espèce de partenariat public privé, c'est-à-dire qu'il y a une taxe qui est prélevée sur nos contrats d'assurance habitation à hauteur de 12 %” détaille Olivier Moustacakis. “À l'origine, elle était de 5 à 8 %, mais on voit qu'au fil des années, elle a augmenté parce que la sinistralité a également augmenté. Le régime est maintenant déficitaire depuis quelques années puisqu'en fait la taxe permet de collecter environ 1,7 milliard et qu'en moyenne, depuis les dix dernières années, les montants des indemnisations se chiffrent à plus de 2 milliards”.
Pour désamorcer cette bombe à retardement “le vrai sujet pour les années à venir, c’est la prévention” prophétise le fondateur d’Assurland. “L’enjeu, c’est de protéger le stock de construction à venir afin d’éviter de se retrouver face à un nouveau problème majeur” ajoute Vincent Ledoux. “Le monde de la construction doit s'adapter avec des maisons moins lourdes, qui aillent plus profondément dans le sol, repenser aussi la végétalisation et bien sûr réfléchir au type de solidarité que l’on veut”.
Prévenir les risques, c’est justement le travail d'Antoine Denoix, le PDG d’Axa Climate, une branche du géant de l'assurance Axa. Créée il y a quatre ans, cette cellule regroupe 200 personnes dont un tiers de scientifiques, du géologue au climatologue. “Notre mission, c’est l’adaptation climatique et notre enjeu la prévention” affirme le dirigeant. “Nous voulons dépasser l'assurance. Lorsqu’un client vient nous dire : je veux construire une usine qui va durer vingt ans dans telle ou telle région de France, notre priorité ne doit pas être de lui vendre l'assurance, mais de l'alerter si son bien présente des risques de refus d’assurabilité à cet horizon des dix ou vingt ans. Par exemple, concernant le feu et les inondations, nous ne nous contentons pas de donner des moyennes, mais on utilise nos modélisations topographiques d'écoulement. Sur les risques liés à l’eau, l’objectif est d’affiner de manière extrêmement locale à quelques kilomètres, le risque d'inondation à donner. Sur la neige par exemple, nous travaillons avec nos scientifiques afin d’avoir un indicateur d'enneigement, notamment pour le secteur du tourisme à l'horizon 2030”.
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