Elle est la principale aide de l'État pour la rénovation énergétique : MaPrimeRénov' est accessible à tous les propriétaires, quel que soit leur revenu. Versée par l'Agence Nationale de l'Habitat (Anah), elle vise à encourager les Français à réaliser des travaux de rénovation thermique dans leur logement. Mais depuis sa création, le dispositif évolue chaque année, devenant de moins en moins lisible, quitte à devenir un véritable casse-tête administratif pour les clients bénéficiaires, voire pour les professionnels de la rénovation énergétique eux-mêmes.
« On est obligé de s'engager pour gagner du temps et avoir de la trésorerie. Si on n'a pas ça, on est mort. » Samir Djellouli, dirigeant de l'entreprise Cloud Energy, spécialisée et labellisée dans l'efficacité énergétique à Meyzieu, dans l'Est Lyonnais, est lucide sur la situation. « Tout le monde veut passer avec MaPrimeRénov' mais c'est un peu le foutoir. On a énormément de dossiers initiés depuis juillet 2024 et aujourd'hui, on est toujours en attente. Pour le particulier, c'est laborieux » détaille l'artisan.
MaPrimeRénov' a été lancée en 2020 pour lutter contre les passoires thermiques. Remplaçant le crédit d'impôt transition énergétique, MaPrimeRénov' prend partiellement en charge les travaux, selon le revenu fiscal du foyer, sa situation géographique et les opérations prévues. L'aide varie de 30% pour les ménages les plus aisés à 90% pour les plus modestes. Pour en bénéficier, le dossier doit être validé avant le début des travaux et la rénovation effectuée uniquement par des professionnels certifiés RGE. MaPrimeRénov' distingue trois parcours :
Yasmina, la cliente dont Samir Djellouli rénove la maison dans une zone résidentielle majolane, a reçu son accord de subvention de la part de l'Anah deux mois auparavant, sans recevoir d'acompte. Résultat : les artisans travaillent sans avoir perçu de premier versement, sur un chantier de 62 000€. Avec une isolation par l'extérieur et de l'intérieur, un ratissage des murs, le changement de menuiserie et l'installation d'une pompe à chaleur air/eau, la propriétaire a opté pour une rénovation globale qu'elle n'aurait jamais pu financer sans le dispositif MaPrimeRénov'. « Je suis la seule à travailler alors je n'aurais jamais pu me permettre de faire quoi que ce soit, pas avec le salaire que j'ai. Et surtout, je n'aurais pas pu faire des travaux de cette ampleur. J'ai fait en sorte que je n'ai rien à verser et que la prime englobe la totalité. Il y a des trucs que je ne ferais pas. Après, si je dois rajouter 7 000 ou 8 000 euros, ça n'a rien à voir avec des 20 000 ou 30 000 euros que je ne pourrais jamais payer. Le plus important pour moi, c'était le chauffage ». À cause de l'humidité, certaines de ses chambres étaient moisies, malgré des factures de chauffage qui ont atteint 780€ en deux mois « alors que je chauffais avec la cheminée en plus du gaz ».
Pour bénéficier de MaPrimeRénov', Yasmina n'a rien eu à gérer. Cloud Energy s'est occupé pour elle de la demande auprès de l'Anah. Après un audit pour déterminer la classe énergétique de la maison et une évaluation des travaux, les artisans ont pu commencer à travailler. Sans toucher un centime, donc. « Ils attendent que je sois payée pour qu'eux puissent être payés » confirme la propriétaire. Mais cela peut être très long, d'après Samir Djellouli.
La semaine dernière, on a des clients qui ont carrément révoqué leur dossier parce que c'était trop long. Ils sont partis faire un crédit à la banque. Derrière, on va faire les travaux mais ils vont payer de leur poche. J'ai plein de confrères qui ont fait des dépôts de bilan. Il y en a qui n'y arrivent plus. Une rénovation d'ampleur, le chantier ne se fait pas en un mois, il se fait en plusieurs étapes et ça peut être assez long. Les trésoreries sont bloquées. Il faut payer les artisans, payer nos salariés, le matériel. J'ai commencé un chantier au mois de mars 2024. La personne mandataire n'a pas touché son argent. On a terminé ses travaux au mois d'octobre. Elle a touché son acompte mais pas le reste de ses subventions. On a des dossiers qui datent de fin 2023. On n'a pas été payés par l'Anah et on les relance. Pourtant, ça a été contrôlé ! C'est l'État, un jour ou l'autre, ils vont bien payer.
Même si 80% de son activité se fait auprès des particuliers, lui envisage de relancer son entreprise dans les appels d'offre du tertiaire. « On a tout misé sur la rénovation d'ampleur et derrière, on voit qu'il n'y a pas assez de répercussions. Tous les trimestres, ça ne fait que changer, on ne sait pas où on va. »
Et c'est tout le problème pour la Capeb, le syndicat patronal de l'artisanat du bâtiment et le président de sa section Auvergne Rhône-Alpes, Dominique Guiseppin. « Si on veut que cette rénovation se passe bien, il faut qu'elle soit désirable. Pour ça, il nous faut quand même des marqueurs ou des aides ou des objectifs un peu clairs, précis, qui ne changent pas. MaPrimeRénov' c'était, bien sûr, un bon coup de pouce de l'État pour toutes ces rénovations énergétiques. Sauf que chaque année, les règles varient et changent. Si bien qu'un propriétaire comme un artisan arrivent à se perdre dans tous ces méandres administratifs. Cet élan qu'on devait donner avec MaPrimeRénov' est freiné presque constamment par des atermoiements, par des budgets qui ne sont pas votés, par des changements de règles ». Il cible ici la baisse du budget alloué aux crédits de paiement de MaPrimeRénov' voté dans le budget 2025 du gouvernement, passant de 3,29 milliards d'euros en 2024 à 2,3 milliards d'euros en 2025, soit près d'un milliard d'euros en moins. Une baisse sans conséquence selon le gouvernement mais qui inquiète les professionnels du secteur.
80% de l'habitat existe déjà. C'est celui-là qu'il faut rénover. Et quand on regarde les chiffres de la rénovation, elle stagne. Dans notre région, on est plutôt à +1%. C'est beaucoup mieux que la France qui est à -0,9%, mais il n'empêche que ça ne prend pas l'ampleur que ça devrait prendre. Quand un particulier monte un dossier, il va peut-être attendre 6 ou 7 mois avant d'avoir des réponses. Peut-être qu'il aura le paiement rapidement mais on a eu des exemples qui ont été jusqu'à 24 mois de retard de paiement.
Une lenteur qui a des conséquences sur le secteur de la rénovation énergétique d'après Dominique Guiseppin : « quand il faut attendre très longtemps le règlement d'un chantier, l'artisan n'est pas content, le client n'est pas content. Donc forcément, on s'engage beaucoup moins dans le RGE. Le nombre d'entreprises labellisées aujourd'hui a diminué. On va y aller, mais quand tout le monde aura envie, pour que ce soit responsable, c'est-à-dire qu'on ne va pas laisser attendre une entreprise un an sans règlement ».
En attendant, la Capeb se mobilise pour que les mono-gestes soient conservés dans l'enveloppe de MaPrimeRénov' : « on veut que le mono-geste s'inscrive dans un parcours de rénovation qui s'inscrit dans la durée. Parce qu'on sait très bien qu'un particulier ne peut pas rénover toute sa maison. Déjà parce qu'on travaille dans des milieux habités. Puis après, il y a le coût. Aujourd'hui, ce qu'on conseille, nous, c'est de voir l'ensemble de la maison, de regarder ce qui est prioritaire dans les travaux et de commencer par ceux-là et de s'inscrire sur le parcours de travaux ». Si la rénovation par geste a finalement été conservée in extremis par le gouvernement, certains changements impactent malgré tout les propriétaires. « Quelqu'un qui voulait mettre une chaudière à gaz à haute performance énergétique avait une TVA à 5%, elle passe à 20%. Donc forcément, c'est 15% de plus. Pour un particulier, ça va être 700 à 800 euros de plus, c'est énorme » se désole le patron de la Capeb dans la région selon qui de nombreux artisans auraient renoncé à se faire labelliser RGE, quitte à proposer à leurs clients des remises individuelles.
D'autres, au contraire, se réjouissent des changements annoncés, comme l'Alec, porte d'entrée du dispositif Eco Rénov' de la Métropole de Lyon qui complète MaPrimeRénov'. « Ce qui bouge, c'est plutôt les annonces gouvernementales et les annonces des opposants aussi au gouvernement » balaye Thibaut Oustry, qui accompagne les projets des copropriétés. Lui préfère regarder le budget global de l'Agence Nationale de l'Habitat, plutôt que celui de MaPrimeRénov' et constate « un budget qui est en augmentation de 15 %. C'est plutôt une réorientation des aides. Il y a bien la partie rénovation d'ampleur qui a été augmentée et une partie geste qui, là, a été diminuée » sans que cela n'impacte les particuliers car « 70 % des budgets de l'Anah sont directement confiés aux collectivités. C'est le cas de la Métropole de Lyon, qui gère notamment toute l'attribution des aides pour les ménages modestes, très modestes, pour lesquelles, généralement, les collectivités abondent les aides de l'Anah ». À cela s'ajoutent les collectivités qui mettent en place des dispositifs complémentaires comme la Métropole de Lyon avec le dispositif Eco Rénov'.
Mais cette voix optimiste est difficilement audible face aux difficultés rencontrées par les différents acteurs sur le terrain. Géraud de Seyssel, gérant de l'entreprise Initiales spécialisée dans la rénovation à Lyon, se dit dépité. « Je suis assez dépité, alors que je suis très motivé pour que ça fonctionne. Mais MaPrimeRénov', pour moi, c'est une usine à gaz. J'ai peu de clients qui me demandent des aides parce que c'est très compliqué ».
L'an dernier, sur une quarantaine de chantiers, un seul a demandé à utiliser le dispositif. « La majorité de nos clients sont soit dans des revenus tranches hautes, soit ils fond du lucratif. Donc ils sont peu concernés par MaPrimeRénov' » explique celui qui, il y a cinq ans, « a passé beaucoup de temps pour se comprendre comment ça fonctionnait. Mais ça change tous les six mois alors on a baissé les bras, nous aussi. Ça devient compliqué même de défendre le processus, parce que les gens ne comprennent plus rien. Quand vous êtes sur des tranches de revenus importantes, sur un budget de rénovation de 70 000, 100 000, 150 000 ou 200 000 euros, vous allez toucher 2 000 ou 3 000 euros, mais quand vous voyez tout ce qu'il faut faire, que le diagnostic initial coûte 1 500 euros, qu'il sera peut-être remboursé, mais c'est pas sûr, etc., les clients abandonnent ».
Depuis 2015, 28 500 logements privés ont été rénovés dans la Métropole de Lyon grâce à MaPrimeRénov' sur les plus de 32 000 rénovations réalisées sur la période.
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