Reporter de guerre pendant des années, Patricia Allémonière a couvert les récents conflits aux quatre coins du globe, notamment en Bosnie, en Algérie, en Irak ou encore en Afghanistan. En parallèle de ce métier dangereux, à raconter la vie des habitants et des soldats sous les bombes, elle a mené un autre grand rôle, celui de mère. Désormais à la retraite, elle revient sur l’imbrication de ces deux aspects de sa vie dans un livre intitulé « Au cœur du chaos », publié aux éditions Arthaud.
« Peut-on être mère, donner la vie et partir aussitôt rejoindre les terres où les hommes s’affrontent ou sévissent la guerre et la mort ? » C’est à cette question, que Patricia Allemonière tente de répondre dans ce livre. Cette question, elle se l’est posée après une discussion avec sa fille, alors âgée d’environ 25 ans, après des années d’allers-retours entre son domicile et des scènes de guerre. « On n’avait encore jamais parlé de mon métier. Alors je lui ai demandé si elle m’en voulait. Elle m’a écrit deux pages et c’est ce qui m’a donné envie d’écrire ce livre », explique l’ancienne journaliste.
Ce livre, c’est aussi pour elle une façon de répondre à tous ceux qui ont voulu la faire culpabiliser lorsqu’elle partait couvrir une guerre pendant quatre à cinq semaines, laissant sa fille derrière elle. « J’ai dû jouer des coudes quand je suis devenue maman, parce que c’était inenvisageable [pour beaucoup]. Pourtant, il y avait des papas dans le service étranger de TF1, mais la pression sociale était plus forte sur les mères, et si la maman mourrait c’était plus grave que si c’était le papa et moi ça me choquait », se souvient-elle.
Ce qui était inenvisageable pour Patricia Allémonière, c’était de faire passer sa vie de mère avant son métier. « Parce qu’une femme n’est pas qu’une mère ; c’est un être humain avec ses envies de désirs et de réalisations, affirme-t-elle. Et mes envies, c’était le grand reportage ». Cela, Patricia Allemonière l’a très vite compris, dès les bancs de Sciences-Po où l’idée de faire du journalisme lui est apparue. Une envie rapidement confirmée lorsqu’elle est entrée chez TF1 et qu’on lui a demandé de couvrir les conflits au Mozambique.
Là, elle a découvert son ton, sa signature : raconter la guerre de façon plus humaine. « Moi ce que je cherche toujours dans mes reportages, c’est la lueur de vie que l’on trouve dans les moments presque apocalyptiques. On ne véhicule pas que de la peur, on véhicule l’humain ; et on montre que les Hommes ont des capacités incroyables pour se ressourcer et être des héros anonymes », explique-t-elle.
Mue par sa passion pour son métier, « son refus de la routine », mais aussi par son affection pour sa fille, Patricia Allemonière a donc dû trouver des astuces pour tout mener de front. « Quand elle était petite, je lui murmurais à l’oreille que j’allais repartir, parce que si je ne le faisais pas, je lui en aurais voulu un jour », raconte-t-elle.
Une fois à des milliers de kilomètres, et sur conseil d’un pédopsychiatre, la journaliste a mis en place le rituel de l’appel téléphonique. « Je l’appelais tous les soirs à la même heure. Il y a peut-être quatre ou cinq fois où je n’ai pas pu, parce que ça ne captait pas ou parce que c’était trop dangereux, mais je la prévenais toujours la veille », dit-elle, ravie de voir que ce rituel continue et qu’il leur a permis de nouer un lien très fort.
Mais il y a des appels différents des autres. Comme cette fois en 2011, où Patricia Allémonière est blessée lors d’un reportage en Afghanistan. « Au bout de 5 heures de combat, une roquette a tapé sur le haut de la fenêtre et les éclats m’ont blessée », relate-t-elle. Rapatriée sur la base militaire le lendemain, la journaliste passe alors un coup de fil à sa fille. « Mon seul objet c’était de la rassurer », mais son menton blessé l’empêche de bien parler, faisant redoubler l’inquiétude chez sa fille. Pour lui prouver que tout allait bien, Patricia Allémonière lui promet alors d’apparaître le lendemain en direct à l’antenne. Promesse qu’elle tient.
Sa relation avec sa fille lui a aussi permis de mettre plus facilement à distance l’horreur et d’oublier les images de massacres vues en mission. Et même si elle affirme avoir « une capacité à se blinder », Patricia Allémonière a tout de même des petites habitudes pour tourner la page, comme boire un verre de vin avec ses collègues dans l’avion retour. Surtout, à chaque fois qu’elle rentrait, la journaliste prenait dix jours de récupération et les passait avec sa fille, comme pour rattraper le temps perdu et rester dans une bulle bienveillante.
S’il était facile pour elle de mettre à distance les atrocités, elle veillait tout de même à ce que cela ne « dégouline » pas sur sa fille, en l’emmenant voir un pédopsychiatre à chaque fois. Des séances qui parfois se retournaient contre elle, comme cette fois où sa fille lui a demandé « Est-ce que tous les parents font passer leurs désirs avant ceux des enfants ? ». Question à laquelle, Patricia Allémonière lui avait répondu que s’il arrivait quelque chose de très grave à sa fille, elle abandonnerait et qu’elle reviendrait vers elle.
Sa fille, aujourd’hui âgée de 30 ans, en a-t-elle donc voulu à sa mère de s’être absentée par moments, au péril de sa vie ? La réponse se trouve à la fin du livre « Au cœur du chaos ».
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