Hauts-de-France
Avec la crise énergétique, plusieurs entreprises comme TotalEnergies ou l’armateur CMA-CGM sont pointées du doigt pour leurs profits colossaux. Après un échec en juillet dernier, la gauche entend bien pousser de nouveau le sujet dans l'arène politique. C’est le genre de question où l’idéologie prend rapidement le pas sur la rationalité, ce qui enflamme les débats. Le camp présidentiel lui-même est divisé sur le sujet. Il y a donc urgence à redéfinir cette notion protéiforme de superprofits et à se pencher sur son application.
Deux mots encombrent l’actualité politique et sociale de cette rentrée française : sobriété et superprofits. Les deux nous conduisent vers le secteur de l’énergie. La question des superprofits est assez populaire dans l’opinion publique, car elle relève d’une logique de justice fiscale assez intuitive. “Il s’agit de parler de profits totalement indépendants du mérite où des efforts de celui qui va en bénéficier” analyse Alexandre Delaigue, professeur d’économie à l’Université de Lille.
On pense directement à TotalEnergies qui, grâce à l’invasion de l’Ukraine à plus que doublé son bénéfice net au deuxième trimestre : 5,7 milliards de dollars, contre 2,2 milliards l’année précédente. Même chose pour l’armateur CMA-CGM qui est à 7,6 milliards sur le deuxième trimestre. La théorie est donc assez simple, mais l’application s’avère plus complexe. “Cette année CMA-CGM fait des bénéfices record, mais cela arrive après des périodes de grosses difficultés” explique Alexandre Delaigue. “Pour l’industrie cyclique, la mesure concrète d’un superprofit pose donc problème”.
La taxation des superprofits ne pose aucun problème économique
L’autre blocage, c’est que tout le monde ne travaille pas avec le même logiciel. “L’idée est de déterminer un profit moyen sur une période de référence pour les grandes entreprises afin de voir ensuite si elles engrangent des superprofits dont on pourrait prélever un pourcentage” détaille pour sa part le député Insoumis de la Nupes, Manuel Bompard qui codirige, pendant tout le mois de septembre, une mission flash sur le sujet avec le député de la majorité David Amiel.
Au niveau national, l’initiative devrait plutôt venir de l’Assemblée nationale, car la majorité est très divisée sur cette question. Le 27 août, la Première ministre Élisabeth Borne a affirmé qu’elle ne fermait pas la porte à cette taxe. Son ministre de l'Économie, Bruno Le Maire s’y oppose farouchement, indiquant même que « taxer plus en France, c'est produire moins en France ». Même son de cloche du côté du MEDEF, Geoffroy Roux de Bézieux plaide pour des profits, supers ou non, réinvestis dans l’entreprise, notamment pour faire face à la transition écologique.
L’argument n’est pas nouveau : taxer les superprofits réduirait donc la capacité d’investissement des entreprises. “On peut considérer que le profit est un moteur de l’entreprise, mais dans le cas des superprofits, il s’agit de recettes qui sont totalement indépendantes du comportement et de l’action de celui qui en bénéficie” précise Alexandre Delaigue. “Par conséquent, leur taxation ne pose aucun problème économique”.
Cet argument est aussi démenti par la recherche économique. Lorsque François Hollande a triplé la taxe sur les dividendes, les efforts sont allés aux actionnaires, mais cela n’a pas pesé sur les investissements qui ont au contraire augmenté. C’est la conclusion de trois économistes dans un article publié en juin dernier.
Reste que d’autres problèmes sont avancés : comment taxer de façon juste ces superprofits quand les entreprises concernées réalisent beaucoup de chiffre d'affaires à l’étranger ? Pointe aussi la crainte de voir la France devenir “un repoussoir fiscal” selon les mots du fiscaliste Frédéric Douet. “Une telle taxation pourrait être contreproductive” note-t-il. Et puis il y aussi l’argument de la responsabilité des entreprises. “On veut taxer TotalEnergies alors que l’entreprise joue déjà le jeu en accordant une remise sur le prix des carburants qu’elle vend”. Le groupe propose en effet une ristourne de 20 centimes au litre à la pompe. Un effort volontaire mais actionné devant la menace d’une taxe des superprofits. Quoi qu’il en soit, “cela revient à supporter cette taxe sur les superprofits" conclut Frédéric Douet.
Si cette question fait couler autant d’encre, c’est qu’elle dépasse de loin la simple question de fiscalité. “Il y a une dimension morale, car ce ne sont pas des profits qui sont le résultat d’un effet particulier” allègue Alexandre Delaigue. C’est aussi une question de cohésion sociale en temps de crise. “C’est presque philosophique” développe le député Manuel Bompard. “Il est normal que nous n’ayons pas d’un côté ceux qui souffrent et de l’autre ceux qui s’en mettent les poches”. Difficile donc pour le gouvernement de balayer ce débat d’un revers de main. Pour éviter les remous politiques, Emmanuel Macron a déplacé la question au niveau européen en proposant un “mécanisme de contribution” global.
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