La résistance des Églises chrétiennes allemandes au nazisme reste un sujet complexe et ambivalent. Si certaines figures se sont illustrées, comme Dietrich Bonhoeffer, les nouvelles archives du Vatican éclairent les silences et limites de ces institutions.
Le 23 novembre 2024 marquait les 80 ans de la Libération de Strasbourg. A cette occasion, Emmanuel Macron annonçait la panthéonisation du résistant Marc Bloch, historien et résistant d’exception. De quoi nous inviter à une réflexion profonde sur la résistance face à l’oppression, notamment celle des Églises chrétiennes en Allemagne sous le régime nazi. On en parle avec le pasteur François Bergouignan et Sylvie Toscer, professeure en étude germanique à l’université de Tours.
La déclassification des archives du Vatican en 2020, décidée par le pape François, a permis d’apporter un nouvel éclairage sur les positions adoptées par l’Église catholique à cette période. Bien souvent critiqué pour son silence, Pie XII, pape de l’époque, a opté pour une prudence extrême, par “crainte de représailles”, et profondément influencé par une tradition chrétienne d'anti judaïsme et d'anti-communisme. Les archives, souligne Sylvie Toscer, révèlent que cette prudence s’inscrit dans une diplomatie discrète du Vatican, héritée des leçons de la Première Guerre mondiale.
Toutefois, précise la professeure, quelques figures courageuses de l’Église catholique allemande se sont démarquées. Parmi elles, l’évêque de Münster, Clemens von Galen, et l’évêque de Berlin, Konrad von Preysing, ont pris des positions audacieuses contre les politiques d’euthanasie du régime nazi, notamment en 1941. Des voix qui restent néanmoins isolées, face à une hiérarchie ecclésiastique majoritairement silencieuse.
Du côté protestant, l’Église confessante a émergé en réaction à l’ingérence nazie dans les Églises protestantes allemandes. Fondée par des figures telles que Dietrich Bonhoeffer, elle s’opposait à l’idéologie nazie et au contrôle politique exercé sur l’Église. Pourtant, comme le révèlent les travaux de l’historien Helge-Fabien Hertz, cette opposition reste principalement interne et théologique. L’Église confessante défendait l’indépendance de l’Église, mais sans véritablement contester le régime sur le plan politique ou idéologique.
La Déclaration de Barmen, adoptée en 1934 par le synode de l’Église confessante, illustre cette posture. Elle rejette toute forme de dictature dans l’Église, mais demeure une déclaration spirituelle plutôt qu’un acte de résistance politique.
Dietrich Bonhoeffer est souvent présenté comme le symbole de la résistance chrétienne au nazisme. Pasteur, théologien et fondateur de l’Église confessante, il a dénoncé sans relâche les atrocités nazies dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Arrêté en 1943, il fut exécuté en 1945. Son courage et sa foi inébranlable restent des exemples de résistance active. Toutefois, son parcours est unique et peu représentatif des positions majoritaires des Églises protestantes.
Un facteur clé expliquant le silence des Églises chrétiennes est l’anti judaïsme profondément ancré dans la théologie chrétienne de l’époque. Cette tradition, parfois nourrie par les écrits violents de figures comme Martin Luther, a contribué à une forme d’aveuglement face aux persécutions nazies. Ainsi, la question juive a rarement suscité une prise de position claire, que ce soit chez les catholiques ou les protestants.
Les archives ouvertes en 2020 et les travaux récents permettent aujourd’hui une meilleure compréhension des ambiguïtés et des limites de la résistance chrétienne face au nazisme. Elles révèlent une complexité institutionnelle, des tensions internes et des choix souvent dictés par la peur ou la tradition. Pourtant, elles mettent également en lumière des figures inspirantes dont l’engagement continue d’interroger notre propre responsabilité face à l’injustice.
Cet éclairage historique rappelle que la résistance, même dans ses formes les plus discrètes, est essentielle pour défendre la dignité humaine. À l’image de Dietrich Bonhoeffer ou de Clemens von Galen, ces témoins de foi nous invitent à ne pas détourner le regard face aux défis de notre temps.
L’émission est une carte blanche à l’Église protestante unie de France : regard protestant sur un thème de société, d’actualité, de culture, d'art.
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