Est-on vaccinés contre le totalitarisme ? Alors que le geste d'Elon Musk interprété par beaucoup comme un salut nazi en pleine cérémonie d'investiture de Donald Trump suscite encore la polémique, alors que nos démocraties occidentales apparaissent de plus en plus fragiles, plonger dans l'histoire du nazisme peut nous permettre de mieux comprendre les points de faiblesse de nos systèmes politiques démocratiques et libéraux.
Comment l’une des nations les plus cultivées, les plus structurées politiquement, a-t-elle pu basculer en quelques années dans le nazisme génocidaire ? Comment et pourquoi l’Allemagne a-t-elle donné le pouvoir à Adolf Hitler et le soutenir jusqu’au bout dans son projet mortifère ? Alors que le geste d'Elon Musk interprété comme un salut nazi en pleine cérémonie d'investiture suscite encore la polémique, alors que nos démocraties occidentales apparaissent de plus en plus fragiles, plonger dans cette histoire peut nous permettre de mieux comprendre les points de faiblesse - mais aussi les points de solidité - de nos systèmes politiques démocratiques et libéraux. Dans Les Racines du présent, Frédéric Mounier reçoit Christian Ingrao, historien, directeur de recherche au CNRS. Il est le co-auteur, avec Nicolas Patin et Johann Chapoutot, du livre "Le monde nazi - 1919-1945" (éd. Tallandier, 2024). "On a eu beaucoup de mal à trouver ce titre, confie Christian Ingrao. Les idées nazies ne tombent pas du ciel en 1919."
Pour appréhender les origines du nazisme, il faut remonter au XIXe siècle et avoir une vision d’ensemble à l’échelle européenne - pas seulement de l’Allemagne. Ont émergé en Europe des "univers réactionnaires". C’est aussi là où on a assisté à une "montée de la révolution scientifique et notamment une révolution de la biologie" ainsi qu’à un "essor de la croyance raciale".
Si, pour beaucoup, le nazisme est une exception dans l‘histoire de l’Occident, Christian Ingrao défend l’idée contraire. II y a au tournant des XIXe et XXe siècles une "vision eugéniste parfaitement défendue dans l’ensemble de la sphère politique européenne". Pour l’historien, il y a alors des États européens - aussi bien la Suède, la Grande-Bretagne ou la France – qui ont "comme prétention de gouverner les corps" en les distinguant, en les hiérarchisant et "en contrôlant leur reproduction".
En 1919, le NSDAP, le parti d’Hitler, appartient à "une nébuleuse de cette droite ethno-nationale" qu’on appelle völkisch. "Völkisch" fait partie de ces mots clés significatifs associés au nazisme que les historiens ont décidé de ne pas traduire. Tout comme weltanschauung, c’est-à-dire une vision du monde, une idéologie, l’ensemble "des filtres par lesquels les nazis appréhendent le réel". Ou encore lebensraum, que l’on traduit souvent par "espace vital" mais ce mot est tiré des sciences de la nature, "biotope" serait plus ajusté, selon Christian Ingrao. Pour völkisch, "on pourrait le traduire par populiste, explique Christian Ingrao, mais si on fait ça, on loupe toute la dimension ethno-raciale qu’il y a derrière tout ça. On pourrait le traduire part ethno-national."
Qu’est-ce qui distingue les nazis au sein de cette "nébuleuse völkisch" ? "Les völkisch sont la plupart du temps des organisations élitistes qui attirent la jeunesse étudiante et de classe moyenne. Le parti nazi lui se veut plébéien", répond Christian Ingrao. Et le parti séduit avec son idéologie. "La weltanschauung nazie est quelque chose d’extrêmement cohérent, c’est à la fois un discours sur le monde, sur l’histoire et sur soi." Idéologie qui fédère "une communauté avec ses codes, ses rituels d’initiation, son ethos guerrier et combattant, son sexisme…"
Les chômeurs victimes de la crise de 29 n’ont pas voté en masse pour le parti nazi. C’est la petite bourgeoisie hantée par le déclassement... qui a basculé de la droite classique vers la droite raciale
Pour conquérir le pouvoir, l’idéologie ne suffit pas. Il faut entrer dans une logique de suffrage, de recrutement et aussi dans une logique politicienne avec des alliances. Contrairement à ce que l’on dit, "les chômeurs victimes de la crise de 29 n’ont pas voté en masse pour le parti nazi", rappelle Christian Ingrao dans "Le monde nazi". "C’est la petite bourgeoisie hantée par le déclassement." La thèse est défendue par plusieurs historiens allemands qui ont montré que "les suffrages viennent des partis de droite, plutôt nationale... et de la petite bourgeoisie qui a basculé de la droite classique vers la droite raciale."
Le parti nazi a pu s’imposer car le paysage politique s’est droitisé. En 1930, il est devenu "le premier en terme de suffrages et de députés". Et "à partir de 1931 le jeu parlementaire est bloqué parce que le national-socialisme est là. Et donc on passe par des décrets présidentiels qui suspendent la République de Weimar."
Comment comprendre qu’un parti qui se dit socialiste ait reçu le soutien des grands patrons allemands ? "Contrairement à ce qu’essaient de nous faire croire encore à l’heure actuelle tout un tas de personnes issues des droites nationales, le national-socialisme n’est pas un socialisme. C’est beaucoup plus proche d’un capitalisme extrêmement moderniste." Est-ce cela qui a poussé les grands patrons et magnats de l’industrie allemands à soutenir le NSDAP ? "Dans les faits, les élites à la fois économiques et politiques allemandes se sont fondées sur un calcul qui disait : on ne peut pas ne pas gouverner avec le national-socialisme et nous arriverons à dompter la bête."
L’actualité s’enracine dans notre histoire. Chaque événement peut être relié au passé pour trouver des clés de compréhension. Relire l’histoire, c’est mieux connaître et comprendre le présent. Chaque semaine, Frédéric Mounier, auteur du blog Les Racines du présent, invite des historiens à croiser leurs regards sur un sujet contemporain pour mieux appréhender notre présent et envisager l’avenir.
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